joi, 25 iulie 2013

 
 
 
GRANDE CHAMBRE
 
 
 
 
 
 
AFFAIRE SINDICATUL « PĂSTORUL CEL BUN » c. ROUMANIE
 
(Requête no 2330/09)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ARRÊT
 
 
STRASBOURG
 
9 juillet 2013
 
 
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
 

En l’affaire Sindicatul « Păstorul cel Bun » c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
            Dean Spielmann, président,
            Guido Raimondi,
            Mark Villiger,
            Isabelle Berro-Lefèvre,
            Boštjan M. Zupančič,
            Elisabeth Steiner,
            Danutė Jočienė,
            Dragoljub Popović,
            George Nicolaou,
            Luis López Guerra,
            Ledi Bianku,
            Vincent A. de Gaetano,
            Angelika Nußberger,
            Linos-Alexandre Sicilianos,
            Erik Møse,
            Helena Jäderblom,
            Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de
Michael O’Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2012 et le 5 juin 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2330/09) dirigée contre la Roumanie et dont le syndicat Păstorul cel Bun (le Bon Pasteur) a saisi la Cour le 30 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la Grande Chambre a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les membres du syndicat requérant (article 47 § 3 du règlement de la Cour).
2.  Le syndicat requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me R. Chiriţă, avocat à Cluj Napoca. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des affaires étrangères.
3.  Le syndicat requérant alléguait que le rejet de sa demande d’enregistrement en tant que syndicat avait porté atteinte au droit de ses membres de fonder un syndicat garanti par l’article 11 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 31 janvier 2012, une chambre de ladite section, composée des juges Josep Casadevall, Egbert Myjer, Ján Šikuta, Ineta Ziemele, Nona Tsotsoria, Mihai Poalelungi et Kristina Pardalos, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section, a rendu un arrêt. A l’unanimité, elle a déclaré la requête recevable et, par une majorité de cinq voix contre deux, elle a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 11 de la Convention.
5.  Le 9 juillet 2012, à la suite d’une demande formée par le Gouvernement le 27 avril 2012, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention.
6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le Président de la Grande Chambre a désigné Mme Angelika Nußberger pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
7.  Tant le syndicat requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).
8.  Ont été autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement) l’organisation non gouvernementale European Centre for Law and Justice et l’Archevêché orthodoxe de Craiova, qui s’étaient déjà portés tiers intervenants devant la chambre, le Patriarcat de Moscou, les organisations non gouvernementales Becket Fund et International Center for Law and Religion Studies, ainsi que les gouvernements moldave, polonais, géorgien et grec.
9.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 7 novembre 2012 (article 59 § 3 du règlement).
 
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement
Mme C. BRUMAR,                                                                            agent,
Mme I. CAMBREA,                                                                    co-agente,
M. D. DUMITRACHE,                                                             conseiller,
Mme A. NEAGU,                                                                     conseillère ;
–  pour le requérant
Me R. CHIRIŢĂ, avocat,                                                                conseil,
Me I. GRUIA, avocat,                                                                     conseil,
Mme O. CHIRIŢĂ,                                                                   conseillère ;
 
La Cour a entendu en leurs déclarations Me Chiriţă et Mmes Brumar et Neagu.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10.  Le 4 avril 2008, trente-deux prêtres orthodoxes des paroisses de la métropole d’Olténie, dont une majorité relevaient de l’archevêché de Craiova (région du sud-ouest de la Roumanie), et trois employés laïcs du même archevêché, réunis en assemblée générale, décidèrent de fonder le syndicat Păstorul cel Bun. Les passages pertinents du statut adopté à cette occasion se lisent comme suit :
« Le but du syndicat du personnel clérical et laïc travaillant dans les paroisses ou dans d’autres structures ecclésiastiques qui relèvent de la juridiction administrative et territoriale de la métropole d’Olténie a été défini librement. Il consiste à représenter et défendre les droits et intérêts professionnels, économiques, sociaux et culturels de ses membres clercs et laïcs dans leurs rapports avec la hiérarchie de l’Eglise et le ministère de la Culture et des Cultes.
Afin d’atteindre ce but, le syndicat :
a)  veille au respect des droits fondamentaux de ses membres au travail, à la dignité, à la protection sociale, à la sécurité au travail, au repos, aux assurances sociales, aux aides en cas de chômage, aux droits à la retraite et aux autres droits prévus par la législation en vigueur ;
b)  veille à ce que chacun de ses membres puisse exercer un travail qui corresponde à sa formation professionnelle et à ses compétences ;
c)  veille au respect des dispositions légales relatives à la durée des congés et des jours de repos ;
d)  assure la promotion de la libre initiative, de la concurrence et de la liberté d’expression de ses membres ;
e)  veille à l’application et au respect scrupuleux des dispositions légales concernant la protection du travail et des droits qui en découlent ;
f)  veille à la pleine application des dispositions de la loi no 489/2006 relative à la liberté religieuse et au régime juridique des cultes, du Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine et des saints canons de l’Eglise orthodoxe roumaine ;
g)  négocie avec l’archevêché et la métropole les conventions collectives et les contrats de travail, qui doivent préciser expressément tous les droits et devoirs des clercs et des laïcs ;
h)  assure la protection de son président et de ses représentants pendant leur mandat et après l’expiration de celui-ci ;
i)  veille à être représenté à tous les niveaux et dans toutes les instances de décision, conformément aux dispositions légales en vigueur ;
j)  utilise la pétition, la manifestation et la grève comme moyens de défense des intérêts de ses membres, de leur dignité et de leurs droits fondamentaux ;
k)  assigne en justice les personnes physiques ou morales qui méconnaissent la législation du travail, le droit syndical ou les dispositions de la convention collective signée au niveau de la métropole ou des contrats de travail si les litiges correspondants n’ont pas pu être résolus par la négociation ;
l)  veille au respect et à l’application des dispositions légales relatives à la rémunération et à la garantie de conditions de vie décentes ;
m)  œuvre pour que les clercs et les laïcs puissent bénéficier de l’ensemble des droits dont jouissent d’autres catégories sociales ;
n)  constitue des caisses d’entraide ;
o)  édite et imprime des publications visant à informer ses membres et à défendre leurs intérêts ;
p)  crée et administre dans le respect des dispositions légales et dans l’intérêt de ses membres des organismes de culture, d’enseignement et de recherche dans le domaine de l’activité syndicale, des établissements sociaux et des établissements socio‑économiques ;
r)  lève des fonds pour l’entraide de ses membres ;
s)  organise et finance des activités religieuses ;
ş)  formule des propositions pour les élections organisées dans les structures locales de l’Eglise et propose la participation au Saint Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine d’un prêtre faisant partie de ses membres ;
t)  demande à l’archevêché qu’il présente dans le cadre de l’assemblée des prêtres un rapport sur ses revenus et ses dépenses ;
ţ)  demande au Conseil de l’Archevêché qu’il communique, chaque trimestre ou chaque année, les décisions prises en matière de nominations, de transferts et de répartition des budgets. »
11.  En vertu de la loi no 54/2003 sur les syndicats, le président élu du syndicat sollicita auprès du tribunal de première instance de Craiova l’octroi au syndicat de la personnalité morale et son inscription au registre des syndicats, soutenant que la demande d’enregistrement était conforme à la loi no 54/2003 sur la liberté syndicale et faisant valoir que la loi no 489/2006 sur la liberté religieuse n’interdisait pas la création d’un syndicat.
12.  Le ministère public, représentant l’Etat dans la procédure, se prononça en faveur de la demande d’enregistrement, estimant que la création d’un syndicat de membres du personnel clérical et laïc n’était contraire à aucune disposition légale. Il ajouta que, les membres du syndicat étant des employés qui exerçaient leurs fonctions en vertu de contrats de travail, ils avaient, à l’instar de tout autre employé, le droit de s’associer au sein d’un syndicat pour la défense de leurs droits.
13.  L’archevêché de Craiova, tiers intervenant dans la procédure, confirma que les membres du syndicat étaient employés par l’archevêché, mais affirma que la création du syndicat sans l’accord et la bénédiction de l’archevêque (ci-après « l’autorisation ») était interdite par le Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine, qui avait été approuvé par l’arrêté no 53/2008 du Gouvernement. Il ajouta qu’en vertu dudit statut, les prêtres ne pouvaient pas comparaître devant les tribunaux civils, même dans le cadre d’un litige personnel, sans l’autorisation écrite préalable de l’archevêque. Précisant qu’ils présidaient les assemblées et les conseils de direction de leurs paroisses, il soutint que, dès lors, ils ne pouvaient pas créer de syndicat, la loi no 54/2003 l’interdisant aux personnes exerçant des fonctions de direction. Enfin, il versa au dossier des déclarations écrites par lesquelles huit membres du syndicat exprimaient leur souhait de ne plus en faire partie.
14.  Ayant constaté que la demande d’enregistrement remplissait les conditions de forme requises par la loi no 54/2003, le tribunal estima qu’il convenait d’analyser la demande à la lumière des articles 2 et 3 de ladite loi, de l’article 39 du code du travail, de l’article 40 de la Constitution, de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
15.  Par un jugement du 22 mai 2008, le tribunal accueillit la demande du syndicat et ordonna son inscription au registre des syndicats, lui conférant ainsi la personnalité morale.
16.  Les passages pertinents de l’arrêt se lisent comme suit :
« Le tiers intervenant soutient que la demande de création du syndicat est contraire aux lois spéciales concernant la liberté religieuse et le régime juridique des cultes et, en l’absence de bénédiction de l’archevêque et d’autorisation écrite préalable de comparaître devant le tribunal (requise même pour les litiges personnels), au Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine.
Eu égard aux dispositions du Statut de l’Eglise ainsi qu’à celles de la loi no 489/2006 sur la liberté religieuse, le tribunal rejette les allégations du tiers intervenant, qu’il estime non fondées, pour les motifs exposés ci-après.
Le tribunal note que, en vertu de l’article 5 § 4 de la loi no 489/2006, les cultes, les associations religieuses et les groupements religieux doivent respecter la Constitution, et leurs activités ne doivent pas être contraires à la sécurité nationale, à l’ordre public, à la santé et à la morale publiques, ni aux droits et libertés fondamentaux.
Le tribunal observe également que le Statut de l’Eglise, tel que reconnu par l’arrêté no 53/2008 du Gouvernement, n’interdit pas expressément la création d’un syndicat de membres du personnel clérical et laïc au sens de la législation du travail. Or le tiers intervenant, qui prétend que le droit de créer un syndicat est subordonné à l’obtention de la bénédiction de l’archevêque, n’a pas contesté que les membres fondateurs du syndicat soient des employés titulaires d’un contrat de travail.
Les arguments du tiers intervenant ont été analysés à la lumière, d’une part, des articles 7 à 10 de la loi sur la liberté religieuse, qui reconnaît le rôle important de l’Eglise orthodoxe roumaine et son autonomie quant à son organisation et à son fonctionnement, et, d’autre part, de l’article 1 § 2 de la même loi, qui dispose que « nul ne peut être empêché ou contraint d’adopter une opinion ou d’adhérer à une croyance religieuse au mépris de ses convictions » et que « nul ne doit subir de discrimination, être poursuivi ou être placé en situation d’infériorité en raison de ses croyances, de son appartenance ou de sa non-appartenance à un culte ou à un groupement ou une association religieux, ou du fait qu’il exerce sa liberté religieuse dans les conditions prévues par la loi ».
Dès lors que les clercs et les laïcs sont reconnus comme des employés, la loi leur garantit le droit de constituer un syndicat. Or ce droit ne peut être soumis à aucune restriction fondée sur l’appartenance religieuse ni à aucune autorisation préalable de la hiérarchie.
De l’avis du tribunal, le principe de subordination hiérarchique et d’obéissance qu’énonce le Statut ne peut servir de base à une restriction du droit de constituer un syndicat : les seules restrictions admissibles en la matière sont celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’argument que le tiers intervenant tire du fait que les demandeurs n’ont pas obtenu de l’archevêque l’autorisation de comparaître devant les tribunaux civils doit également être écarté, compte tenu de ce que, aux termes de l’article 21 de la Constitution, « toute personne a le droit de saisir la justice pour défendre ses droits, ses libertés et ses intérêts légitimes, et ce droit ne peut être restreint par aucune loi. »
La création d’un syndicat ne révèle pas nécessairement l’existence au sein de l’Eglise orthodoxe roumaine d’un courant divergent qui mépriserait la hiérarchie et les règles qu’elle impose ; au contraire, elle a vocation à contribuer au dialogue entre employeur et employés en matière de négociation des contrats de travail, de respect du temps de travail et de repos et des règles de rémunération, de protection de la santé et de la sécurité au travail, de formation professionnelle, de couverture médicale, et de possibilité d’élire des représentants dans les structures de décision et d’y être élu, dans le respect des spécificités de l’Eglise et de sa mission religieuse, spirituelle, culturelle, éducative, sociale et caritative.
Compte tenu de ce qui précède, le tribunal, en vertu de l’article 15 de la loi no 54/2003, accueille la demande, rejette l’objection du tiers intervenant, octroie la personnalité morale au syndicat et ordonne son inscription au registre des syndicats. »
17.  L’archevêché contesta ce jugement, soutenant que les dispositions du droit interne et du droit international sur lesquelles il était fondé étaient inapplicables au cas d’espèce. Invoquant l’article 29 de la Constitution, qui garantit la liberté religieuse et l’autonomie des cultes, il arguait que le principe de la liberté religieuse ne pouvait pas s’effacer devant d’autres principes constitutionnels, notamment celui de la liberté d’association, y compris la liberté syndicale.
18.  Il estimait que l’apparition dans la structure de l’Eglise d’une organisation de type syndical pour le personnel clérical portait gravement atteinte à la liberté des cultes de s’organiser selon leur propre tradition. Selon lui, le jugement du tribunal avait ajouté aux institutions ecclésiastiques existantes une nouvelle institution, le syndicat des prêtres, portant ainsi atteinte à l’autonomie des cultes reconnue par la Constitution.
19.  Il critiquait également les objectifs du syndicat, estimant qu’ils étaient contraires aux obligations énoncées dans la « fiche descriptive de l’emploi » et acceptées par les prêtres en vertu de la « profession de foi ». Il soulignait que tous les prêtres s’étaient engagés lors de leur ordination à respecter toutes les dispositions du Statut, les règles de fonctionnement des instances de discipline et de jugement de l’Eglise, ainsi que les décisions du Saint Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine, des assemblées ecclésiastiques locales et du conseil paroissial.
20.  En juin 2008, le Saint Synode déclara les initiatives des prêtres de diverses régions du pays visant à constituer des syndicats contraires à la loi, aux canons et au Statut de l’Eglise.
21.  Par un arrêt définitif du 11 juillet 2008, le tribunal départemental de Dolj accueillit l’appel de l’archevêché et annula l’enregistrement du syndicat.
22.  Les passages pertinents de cet arrêt se lisent comme suit :
« L’Eglise orthodoxe roumaine est organisée et fonctionne conformément au Statut reconnu par l’arrêté no 53/2008 du Gouvernement. Ce statut interdit aux prêtres de constituer des associations, des fondations ou des organisations de quelque sorte que ce soit, y compris donc des syndicats. Cette interdiction vise à protéger les droits et libertés de l’Eglise orthodoxe roumaine en lui permettant de préserver la tradition orthodoxe et ses dogmes fondateurs.
Selon l’article 6 § 2 de la loi no 54/2003, les statuts ne peuvent contenir de dispositions contraires à la Constitution ou aux lois.
La constitution d’un syndicat placerait les structures de consultation et de délibération prévues par le Statut dans une situation où elles se trouveraient remplacées ou contraintes de collaborer avec un nouvel organisme (le syndicat) étranger à la tradition de l’Eglise et aux règles canoniques de consultation et de prise de décision.
La liberté d’organisation des cultes est reconnue par la Constitution et par la loi no 489/2006 sur la liberté religieuse et le régime juridique des cultes. Chaque culte définit son propre statut, qui régit son organisation interne, les droits et les obligations de ses membres, les modalités de ses prises de décision et le fonctionnement de ses instances disciplinaires.
Selon les dispositions de l’article 14 w) [du Statut de l’Eglise orthodoxe], le Saint Synode décide de la création, du fonctionnement ou de la dissolution des associations et des fondations ecclésiastiques à caractère national, qui sont créées et dirigées par l’Eglise orthodoxe roumaine ; [il] accorde ou refuse son autorisation pour la création, le fonctionnement ou la dissolution des associations et des fondations ecclésiastiques qui ont des organes de direction propres et qui fonctionnent dans les subdivisions territoriales du Patriarcat orthodoxe roumain.
Il ressort des dispositions susmentionnées, qui ne font pas référence aux syndicats, que les associations et les fondations ont un caractère ecclésiastique et national.
Il découle par ailleurs de l’article 50 e) du Statut de l’Eglise orthodoxe que les prêtres ne peuvent représenter leurs paroisses en justice qu’avec l’approbation écrite préalable de l’évêque. De même, eu égard au serment d’obéissance envers l’évêque qu’ils ont prêté lors de leur ordination, les membres du personnel clérical ne peuvent ester en justice dans le cadre de litiges personnels que sur autorisation écrite préalable de l’évêque.
Selon la loi no 54/2003, les personnes qui exercent des fonctions de direction ou des fonctions impliquant l’exercice de l’autorité publique, les magistrats, les militaires, les policiers et les membres des forces spéciales ne peuvent pas créer d’organisations syndicales.
En l’espèce, le Statut définit la paroisse, qui est une subdivision de l’Eglise orthodoxe, comme la communauté des chrétiens orthodoxes, clercs et laïcs, établie sur un territoire, subordonnée à l’évêché sur les plans ecclésiastique, juridique, administratif et patrimonial, et dirigée par un prêtre.
Il ressort de l’examen de la liste des prêtres en cause en l’espèce que ceux-ci président les assemblées et les conseils de leurs paroisses. Exerçant des fonctions de direction et bénéficiant à ce titre d’indemnités en application des dispositions susmentionnées, ils ne peuvent pas créer de syndicats.
Compte tenu de ce qui précède, le tribunal accueille l’appel, annule le jugement et rejette la demande d’enregistrement du syndicat. »
23.  Le 29 septembre 2008, la tentative de constitution du syndicat requérant fit l’objet de discussions au sein du synode de la métropole d’Olténie. Celui-ci décida que si les membres du syndicat introduisaient une requête devant la Cour, ils devraient être sanctionnés et traduits devant les instances disciplinaires. En conséquence, les intéressés furent convoqués au siège de l’archevêché, où certains d’entre eux signèrent des déclarations de renonciation à la requête.
24.  Par une lettre du 21 juin 2010, la chancellerie du Patriarcat roumain orthodoxe, rappelant à l’archevêché qu’il était interdit aux prêtres de saisir les juridictions internes et internationales sans l’accord de leur hiérarchie, lui demanda d’exiger des prêtres des déclarations écrites de renonciation à la requête et, en cas de refus, de les traduire devant les instances disciplinaires. Bien qu’ils aient signé ces déclarations, certains prêtres ont fait savoir à la Cour qu’ils maintenaient la requête introduite au nom du syndicat.
25.  Le 19 avril 2010, trois prêtres qui avaient fait partie des membres du syndicat requérant créèrent, avec cinq autres personnes, l’association Apostolia. Celle-ci reçut l’autorisation de l’archevêque de Craiova, qui mit à sa disposition un siège social. Elle fut enregistrée auprès du tribunal de première instance de Craiova le 8 juin 2010.
26.  Les objectifs de l’association tels qu’ils sont énoncés dans son statut sont : l’éducation du peuple dans l’esprit de la morale orthodoxe ; la promotion de l’esprit de solidarité entre clercs et fidèles ; la levée de fonds aux fins de la publication de documents pour la défense de la foi et des traditions ; l’organisation et le soutien d’activités culturelles, religieuses et sociales ; la prise de position contre les événements, les initiatives et les manifestations qui dénigrent la morale chrétienne, la foi orthodoxe, l’identité nationale et les traditions ; l’utilisation des moyens légaux pour faire connaître ses décisions relatives à la défense des intérêts pastoraux, sociaux et professionnels.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Le droit et la pratique internes
1.  La Constitution
27.  Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent comme suit :
Article 29
« Ni la liberté de pensée et d’opinion ni la liberté de religion ne peuvent être restreintes de quelque manière que ce soit. Nul ne peut être contraint à adopter une opinion ou à adhérer à une religion contraires à ses convictions.
La liberté de conscience est garantie ; elle doit se manifester dans un esprit de tolérance et de respect réciproque.
Les cultes religieux sont libres et les communautés religieuses s’organisent conformément à leurs propres statuts, dans les conditions fixées par la loi.
Dans les relations entre les cultes sont interdites toutes formes, tous moyens, tous actes et toutes actions de discorde religieuse.
Les communautés religieuses sont autonomes par rapport à l’Etat et jouissent de son soutien, y compris par des facilités accordées pour offrir une assistance religieuse dans l’armée, les hôpitaux, les établissements pénitentiaires, les asiles et les orphelinats. »
Article 40
« Les citoyens peuvent s’associer librement pour former des partis politiques, des syndicats, des organisations patronales ou d’autres formes d’association. »
Article 41
« Le droit au travail ne peut être limité. Le choix de la profession, du métier ou de l’occupation ainsi que du lieu de travail est libre.
Les salariés ont droit aux mesures de protection sociale. Ces mesures concernent la sécurité et la santé des salariés, le régime de travail des femmes et des jeunes, l’institution d’un salaire minimum brut au niveau national, le repos hebdomadaire, les congés payés annuels, la prestation du travail en conditions particulières ou spéciales, la formation professionnelle, ainsi que d’autres situations spécifiques, prévues par la loi.
La durée normale de la journée moyenne de travail est au maximum de 8 heures.
A travail égal, les femmes reçoivent un salaire égal à celui des hommes.
Le droit aux négociations collectives en matière de travail et le caractère obligatoire des conventions collectives sont garantis. »
2.  La loi sur la liberté syndicale
28.  La loi no  54/2003 sur la liberté syndicale, en vigueur à l’époque des faits, a été remplacée par la loi no 62/2011 sur le dialogue social, qui a repris les dispositions précédentes concernant la liberté syndicale. Ces dispositions se lisaient comme suit :
Article 2
« Toute personne exerçant son activité sur la base d’un contrat de travail, y compris les fonctionnaires publics, a le droit de créer des organisations syndicales et d’adhérer à de telles organisations.
Le nombre minimum de membres requis pour la création d’un syndicat est fixé à quinze individus exerçant leur activité dans la même profession ou la même branche d’activité.
Nul ne peut être contraint à adhérer à une organisation syndicale, à ne pas y adhérer ou à la quitter. »
Article 3
« Les personnes qui exercent des fonctions de direction ou des fonctions impliquant l’exercice de l’autorité publique, les magistrats, les militaires, les policiers et les membres des forces spéciales ne peuvent pas créer d’organisations syndicales. »
Article 6
« 2.  Les statuts ne peuvent contenir de dispositions contraires à la Constitution ou aux lois. »
Article 14
« Pour que le syndicat obtienne la personnalité morale, le représentant des membres fondateurs doit déposer une demande d’enregistrement auprès du tribunal de première instance du siège du syndicat.
Deux copies des pièces suivantes, certifiées par le représentant du syndicat, doivent être jointes à la demande d’enregistrement :
a)  le procès-verbal de constitution du syndicat, signé par au moins quinze membres fondateurs ;
b)  le statut du syndicat ;
c)  la liste des membres des organes de direction (...) ;
d)  le pouvoir du représentant (...). »
Article 15
« Le tribunal de première instance compétent examine dans un délai de cinq jours la demande d’enregistrement. Il vérifie :
a)  si les pièces mentionnées à l’article 14 ont été jointes à la demande ;
b)  si le procès-verbal de constitution et le statut du syndicat sont conformes aux dispositions légales en vigueur.
Si le tribunal de première instance constate que les conditions légales requises pour l’enregistrement n’ont pas été respectées, le président convoque en chambre du conseil le représentant du syndicat et lui demande, par écrit, d’y remédier dans un délai de sept jours ;
Si le tribunal constate que la demande d’enregistrement est conforme au premier alinéa du présent article, il procède, dans un délai de dix jours, à l’examen de la demande d’enregistrement en présence du représentant du syndicat.
Le tribunal de première instance accueille ou rejette la demande d’enregistrement par un jugement motivé.
Ce jugement est communiqué au représentant du syndicat dans un délai de cinq jours après le prononcé. »
Article 16
« Le jugement du tribunal de première instance est susceptible de pourvoi. »
Article 27
« Afin d’atteindre leurs objectifs, les syndicats ont le droit d’utiliser des moyens d’action spécifiques, tels que la négociation, la médiation, l’arbitrage, la conciliation, la pétition, la manifestation et la grève, conformément à leurs statuts et dans les conditions prévues par la loi. »
Article 28
« Les syndicats défendent devant les juridictions internes et devant d’autres autorités publiques les droits de leurs membres prévus par la législation du travail (...), par les conventions collectives et par les contrats de travail (...)
Dans l’exercice de cette prérogative, [ils] ont le droit d’engager toute forme d’action prévue par la loi, notamment de saisir la justice au nom de leurs membres, sans mandat express de ceux-ci (...) »
Article 29
« Les syndicats peuvent soumettre aux autorités compétentes des propositions de réglementation dans les domaines concernés par le droit syndical. »
Article 30
« Les employeurs doivent inviter les délégués des syndicats représentatifs aux conseils d’administration à l’occasion des discussions portant sur des questions d’intérêt professionnel, économique, social, culturel ou sportif.
Afin de pouvoir défendre et promouvoir les droits et les intérêts professionnels, économiques, sociaux, culturels et sportifs de leurs membres, les syndicats reçoivent de l’employeur les informations nécessaires pour la négociation des conventions collectives ou, selon le cas, la conclusion des accords de branche, ainsi que les informations concernant la création et l’utilisation des fonds destinés à l’amélioration des conditions de travail, de la sécurité au travail et de la protection sociale.
Les décisions du conseil d’administration et des autres organes assimilés concernant les questions d’intérêt professionnel, économique, social, culturel ou sportif sont communiquées par écrit aux syndicats dans un délai de 48 heures après leur adoption. »
3.  La loi sur la liberté religieuse
29.  Les dispositions pertinentes de la loi no 489/2006 sur la liberté religieuse se lisent comme suit :
Article 1
« L’Etat respecte et garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion de toute personne se trouvant sur le territoire national, conformément à la Constitution et aux traités internationaux auxquels la Roumanie est partie. »
Article 5
« Les membres des communautés religieuses choisissent librement la forme sous laquelle ils souhaitent s’associer pour la pratique de leurs croyances – communauté ou association religieuse, groupement religieux – conformément aux modalités et conditions de la présente loi.
Les communautés ou associations religieuses et les groupements religieux sont tenus de respecter la Constitution et les lois et de ne pas porter atteinte à la sécurité publique, à l’ordre, à la santé, à la morale et aux droits et libertés fondamentaux. »
Article 8
« Les communautés religieuses reconnues jouissent du statut de personne morale d’utilité publique. En vertu des dispositions de la Constitution et de la présente loi, elles s’organisent et fonctionnent de manière autonome selon leurs propres statuts ou règles canoniques. »
Article 10
« L’Etat contribue, sur demande, à la rémunération du clergé et du personnel laïc des communautés religieuses reconnues, en fonction du nombre de fidèles et des besoins réels des communautés. »
Article 17
« Sur proposition du ministère de la Culture et des Cultes, le Gouvernement prononce un arrêté octroyant le statut de communauté religieuse reconnue par l’Etat aux associations religieuses qui, par leur activité et le nombre de leurs membres, présentent un intérêt public et démontrent leur continuité dans le temps et leur stabilité.
L’Etat reconnaît les statuts et les règles canoniques dans la mesure où leur contenu ne porte pas atteinte à la sécurité publique, à l’ordre, à la santé, à la morale ou aux droits et libertés fondamentaux. »
Article 23
« Les communautés religieuses choisissent, nomment, emploient et révoquent leur personnel selon leurs statuts, leurs codes canoniques et leurs réglementations propres.
Les communautés religieuses peuvent prononcer à l’encontre de leurs employés, selon leurs statuts, leurs codes canoniques et leurs réglementations propres, des sanctions disciplinaires pour violation des principes de leur doctrine ou de leur morale. »
Article 24
« Les employés des communautés religieuses dont les caisses d’assurance sont intégrées au système public d’assurances sont soumis à la législation relative au régime public des assurances sociales. »
Article 26
« Pour les questions de discipline interne, les dispositions statutaires et canoniques sont d’application exclusive.
L’existence d’organes juridictionnels propres aux communautés religieuses n’empêche pas l’application à l’égard de leurs membres de la législation relative aux infractions. »
4.  La loi sur l’établissement d’une grille de salaire unique pour la rémunération du personnel dont le financement est assuré par le budget de l’Etat
30.  La loi no 330/2009, qui a été remplacée par la loi no 284/2010, contenait des dispositions relatives à la rémunération des clercs et des laïcs. Elle prévoyait que l’Etat et les collectivités locales financent intégralement la rémunération du personnel clérical employé dans les structures publiques et en partie celle des dirigeants des cultes reconnus et des employés, cléricaux ou laïcs, de ces cultes.
31.  Ainsi, l’Etat verse aux employés cléricaux des communautés religieuses reconnues une indemnité mensuelle équivalente à une fourchette comprise entre 65 % et 80 % du salaire d’un professeur de l’éducation nationale. Les clercs occupant des fonctions plus hautes dans la hiérarchie bénéficient d’une indemnité supérieure.
32.  Sont ainsi financés 16 602 postes, répartis entre les cultes en fonction du nombre de fidèles établi au dernier recensement de la population. Lors du dernier recensement (2011), 86 % des habitants de la Roumanie ont déclaré être chrétiens orthodoxes. Le budget de l’Etat prend également en charge l’ensemble des cotisations sociales dues par l’employeur au titre de ses employés cléricaux.
33.  Les employés laïcs perçoivent une indemnité mensuelle équivalente à un salaire minimum interprofessionnel. Cette indemnité et l’ensemble des cotisations sociales dues par l’employeur pour ces employés sont financées par les budgets locaux. La loi prévoit 19 291 postes d’employés laïcs, répartis selon le même critère démographique que celui appliqué pour les employés cléricaux (paragraphe 32 ci-dessus).
34.  Les prêtres et le personnel laïc des cultes s’acquittent de cotisations sociales calculées sur la base de leur salaire et bénéficient de l’ensemble des droits qui en découlent : assurance médicale, assurance-chômage et droits à la retraite. En 2010, leur salaire a été réduit dans la même proportion que ceux des employés du secteur public (soit une réduction de 25 %, destinée à préserver l’équilibre budgétaire de l’Etat).
5.  L’organisation et la réglementation internes de l’Eglise orthodoxe roumaine
35.  L’Eglise orthodoxe roumaine est devenue indépendante en 1885. Elle entretient des relations proches avec les églises orthodoxes des autres pays.
36.  Pendant le régime communiste, la loi no 177/1949 garantissait la liberté de religion, et l’Eglise orthodoxe roumaine a continué à fonctionner sous le contrôle du ministère des Cultes, qui en a approuvé le Statut en 1949. Les membres de son personnel étaient rémunérés par l’Etat sur la base des dispositions légales concernant les fonctionnaires publics.
37.  L’Eglise orthodoxe roumaine est actuellement organisée selon son propre statut conformément à la loi no 489/2006 sur la liberté religieuse. Elle est dirigée par un Patriarche et compte, en Roumanie, 6 métropoles, constituées d’archevêchés, d’évêchés et d’environ 13 500 paroisses, servies par environ 14 500 prêtres et diacres.
38.  La plus haute autorité est le Saint Synode. Il est composé du Patriarche et de tous les évêques en fonction. Font également partie des organes de direction au niveau central l’Assemblée nationale ecclésiastique, qui est composée de trois représentants de chaque diocèse (évêché et archevêché) et qui est l’organe délibératif central, et le Conseil national ecclésiastique, qui est l’organe exécutif central.
39.  Au niveau local, les paroisses, constituées des clercs et de la communauté des fidèles orthodoxes, sont des personnes morales, enregistrées auprès des autorités administratives et fiscales aux fins de la pratique de leurs activités à but non lucratif et de leurs activités commerciales. Le prêtre est l’administrateur de la paroisse. Il préside l’assemblée paroissiale (organe délibératif composé de l’ensemble des fidèles de la paroisse) et le conseil paroissial (organe exécutif).
40.  L’actuel Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine a été adopté par le Saint Synode le 28 novembre 2007 et approuvé par un arrêté du Gouvernement le 16 janvier 2008.
41.  Ses articles pertinents sont ainsi libellés :
Article 14 w
« Le Saint Synode décide de la création, de l’organisation et de la dissolution des associations et des fondations ecclésiastiques nationales (...). Il accorde ou refuse son autorisation (approbation) pour la création, l’organisation et la dissolution des associations et des fondations orthodoxes qui fonctionnent dans les évêchés et qui ont des organes de direction propres. »
Article 43
« La paroisse est la communauté des croyants, clercs et laïcs, située dans un espace géographique déterminé et soumise à l’autorité canonique, juridique, administrative et patrimoniale de l’évêché ou de l’archevêché. Elle est dirigée par un prêtre nommé par l’évêque. »
Article 50
« Dans le cadre de sa mission (...) le prêtre exerce les activités suivantes :
a)  il célèbre la messe les dimanches, les jours de fête et les autres jours de la semaine (...) il enseigne la religion selon les directives du diocèse et il assure l’accès quotidien à l’église (...) ;
b)  il applique l’ensemble des dispositions du Statut, des règlements ecclésiastiques et des organes centraux au niveau de la paroisse ;
c)  il met en œuvre les décisions de ses supérieurs hiérarchiques et des organes du diocèse relatives à l’activité de la paroisse ;
d)  il établit et met en œuvre un programme annuel d’activités religieuses, sociales, caritatives et administratives au niveau de la paroisse et en informe le diocèse et les fidèles ;
e)  il représente la paroisse en justice et devant les autorités ou devant des tiers sur autorisation écrite préalable de l’évêque – en vertu du serment d’obéissance qu’ils ont prêté lors de leur ordination, les clercs et les moines ne peuvent ester en justice pour des affaires personnelles sans l’autorisation écrite préalable de l’évêque ;
f)  il convoque et préside l’assemblée générale, le conseil et le comité de la paroisse ;
g)  il met en œuvre les décisions de l’assemblée et du comité de la paroisse ;
h)  il tient à jour un registre des fidèles ;
i)  il tient à jour le registre des baptêmes, des mariages et des décès (...) ;
j)  il administre le patrimoine de la paroisse conformément aux décisions de l’assemblée et du conseil paroissiaux et il contrôle l’administration des biens des institutions culturelles et sociales et des fondations ecclésiastiques de la paroisse ;
k)  il établit et tient à jour un inventaire de tous les biens de la paroisse (...). »
Article 52
« Les prêtres et les autres membres du personnel ecclésiastique ont les droits et sont tenus par les obligations prévus par les saints canons, par le présent statut, par les règlements ecclésiastiques et par les décisions de l’archevêché. »
Article 88
« L’évêque (...) ordonne la nomination, le transfert ou la révocation des clercs et des laïcs dans les différentes paroisses (...). Il assure, directement ou par l’intermédiaire des organismes ecclésiastiques, le respect de la discipline des membres du clergé et du personnel laïc de son évêché. »
Article 123 §§ 7, 8 et 9
« Les membres du clergé doivent servir l’évêché en vertu de leur mission librement consentie, conformément aux vœux et à l’engagement public et solennel qu’ils ont prononcés et signés avant leur ordination. Avant le début de leur mission pastorale, ils reçoivent de l’évêque une décision qui précise leurs droits et leurs devoirs.
Sans l’autorisation de l’évêque, il est interdit aux prêtres, aux diacres et aux moines de créer ou de rejoindre en tant qu’adhérent ou participant une association, une fondation ou une autre organisation de quelque type que ce soit.
Le statut de prêtre, de diacre ou de moine est incompatible avec l’exercice de toute autre activité personnelle de nature économique, financière ou commerciale contraire à la morale chrétienne orthodoxe ou aux intérêts de l’Eglise. »
Article 148
« Les juridictions ecclésiastiques compétentes en matière de doctrine, de morale, de canons et de discipline des clercs, prêtres et diacres en activité ou à la retraite sont les suivantes :
A)  [En matière générale] :
a)  le consistoire disciplinaire paroissial ;
b)  le consistoire du diocèse (évêché ou archevêché) ;
B)  Sur recours [d’un membre du personnel en cas d’exclusion] : le consistoire métropolitain, sous réserve que le recours ait été déclaré recevable par le synode de la métropole ou le Saint Synode. »
Article 150
« Le consistoire disciplinaire paroissial assure la fonction de juridiction disciplinaire (...) et d’organisme de médiation pour les conflits qui surviennent au sein du personnel de l’Eglise ou entre le prêtre et les fidèles.
Si les parties se déclarent insatisfaites de sa décision, l’affaire est transférée au consistoire du diocèse qui se prononce en dernière instance. »
Article 156
« En vertu de l’autonomie des communautés religieuses prévue par la loi, les problèmes de discipline interne sont tranchés par les tribunaux ecclésiastiques. Les décisions de ces tribunaux ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions civiles. »
42.  Au cours de l’année 2004, les prêtres de l’archevêché de Craiova conclurent avec ledit archevêché des contrats de travail à durée indéterminée. Y étaient précisés les droits et les obligations à caractère général des parties ainsi que le lieu de travail, le poste occupé, le temps de travail, les congés annuels et le salaire mensuel des prêtres. La fiche descriptive de poste qui accompagnait le contrat précisait les obligations des prêtres :
« Guider spirituellement les fidèles selon les règles ecclésiastiques ;
Célébrer la messe tous les dimanches et à chaque fête religieuse ; être à l’écoute des fidèles et établir son domicile dans la paroisse ;
Administrer le patrimoine de la paroisse, des institutions culturelles et des fondations de l’Eglise ;
Dresser l’inventaire du patrimoine de la paroisse et le tenir à jour ; assurer la gestion financière et comptable de la paroisse ; établir des bilans des recettes et des dépenses de la paroisse et les mettre à la disposition de l’inspection de l’archevêché à l’occasion des contrôles financiers et comptables ;
Se fournir auprès de l’archevêché en objets de culte destinés à la vente ;
Régler sans délai toutes les contributions financières dues à l’archevêché ;
S’abstenir d’ester en justice sans l’accord de l’archevêché, que ce soit pour des litiges concernant la paroisse ou pour des litiges à caractère personnel ;
Représenter la paroisse auprès des tiers en cas de conflit ;
S’abstenir de tout agissement incompatible avec le statut de prêtre ;
Respecter toutes les dispositions du Statut de l’Eglise, des autres textes ecclésiastiques et du serment prêté à l’occasion de l’ordination.
La méconnaissance des obligations susmentionnées entraîne le renvoi devant les instances disciplinaires ecclésiastiques, qui peuvent appliquer des sanctions allant jusqu’au licenciement. »
43.  Le 17 mai 2011, répondant à une demande de l’Eglise, le ministère du Travail informa le Patriarche qu’après examen de la législation pertinente, les spécialistes du ministère étaient parvenus à la conclusion que le code du travail n’était pas applicable à la relation de travail établie entre les membres du clergé et l’Eglise orthodoxe roumaine et que, par conséquent, celle-ci n’était pas tenue de conclure des contrats de travail avec eux.
44.  A partir de novembre 2011, les contrats de travail susmentionnés furent donc remplacés, à l’initiative de l’évêque, par des décisions de nomination adoptées par celui-ci. Ces décisions indiquaient le lieu de travail et le poste occupé. Elles prévoyaient également ceci :
« Dans l’exercice de ses fonctions, le prêtre est directement subordonné à l’évêque. Il doit collaborer avec les autres prêtres de la paroisse et avec les représentants du diocèse.
Le prêtre exerce son activité (...) conformément aux dispositions de l’article 50 a)-k) du Statut de l’Eglise ;
Dans le cadre de sa mission, il doit connaître et respecter scrupuleusement, conformément au serment qu’il a prêté à l’occasion de son ordination, les Saints canons, le Statut de l’Eglise, les règlements ecclésiastiques et les décisions du Saint Synode et du diocèse. Il doit se soumettre au contrôle hiérarchique et défendre les intérêts légitimes de l’Eglise orthodoxe roumaine et de ses fidèles.
A partir de la date de sa nomination, le prêtre est inscrit au registre des fonctions et des salaires. Son salaire est établi conformément aux dispositions légales relatives à la rémunération du personnel clérical. Il a droit à des congés annuels calculés en fonction de son ancienneté.
Le prêtre a l’obligation de se fournir en produits destinés à la vente (bougies, calendriers, objets de culte, livres etc.) exclusivement auprès du diocèse. Il doit contrôler en permanence l’activité du point de vente de ces produits (pangarul).
En cas d’écarts de conduite ou de manquements à la discipline ou aux obligations prévues par la présente décision, le prêtre est révoqué par l’évêque (...). Il est sanctionné conformément au règlement des instances disciplinaires de l’Eglise. »
6.  La pratique interne en ce qui concerne la création de syndicats au sein du clergé et l’existence d’autres formes d’association au sein de l’Eglise orthodoxe roumaine
45.  La loi et le Statut de 1949 ne prévoyaient aucune restriction à la liberté d’association des croyants et du personnel de l’Eglise. Sous le régime communiste, des membres du personnel de l’Eglise ont créé des organisations syndicales.
46.  Par un jugement définitif du 4 octobre 1990 rendu en vertu de la loi no 8 du 31 décembre 1989 relative aux partis politiques et aux autres formes d’association, le tribunal de première instance de Medgidia autorisa le fonctionnement du syndicat Solidaritatea, composé de membres du clergé orthodoxe et d’employés laïcs de l’archevêché de Tomis-Constanţa, et lui octroya la personnalité morale.
47.  Dans son statut, ce syndicat se fixait pour objectif de militer pour « un renouveau de la vie spirituelle et une restructuration de l’activité administrative (...) en accord avec les nouvelles exigences de la vie démocratique et de la pleine liberté de pensée et d’action et en concordance avec les principes dogmatiques et réglementaires de l’Eglise orthodoxe roumaine ». Il était prévu qu’il puisse saisir la justice pour la défense de ses membres, qu’il collabore à l’élaboration des normes civiles et ecclésiastiques en vue de la défense des droits et des intérêts de ses membres, et que ceux-ci soient représentés par son président dans tous les organes de décision de l’Eglise.
48.  En mai 2012, l’archevêché de Tomis demanda en justice la dissolution du syndicat Solidaritatea au motif que celui-ci n’avait pas respecté son propre statut : il n’avait pas tenu d’assemblées générales, n’avait pas désigné d’organes exécutifs et n’avait pas exercé l’activité prévue. Cette procédure est toujours pendante.
49.  Par un jugement définitif du 5 juin 2007 rendu en vertu de la loi no 54/2003 sur la liberté syndicale, le tribunal de première instance de Hârlău octroya la personnalité morale au syndicat Sfântul Mare Mucenic Gheorghe, composé de membres du clergé, de moines et d’employés laïcs de l’Eglise orthodoxe roumaine.
50.  Dans son statut, ce syndicat se fixait pour objectif de militer :
-            pour le respect des droits fondamentaux de ses membres au travail, à la dignité, à la protection sociale, à la sécurité au travail, au repos, aux assurances sociales, aux aides en cas de chômage, aux droits à la retraite et aux autres droits prévus par la législation en vigueur,
-            pour l’octroi à chacun de ses membres d’un travail qui corresponde à sa formation professionnelle et à ses compétences,
-            pour le respect des dispositions légales relatives à la durée des congés et aux jours de repos,
-            pour la promotion de la libre initiative, de la concurrence et de la liberté d’expression de ses membres,
-            pour l’application et le respect scrupuleux des dispositions légales relatives à la protection du travail et des droits en découlant,
-            pour la protection de son président et de ses représentants pendant leur mandat et après son expiration,
-            pour être présent et représenté dans les instances de discipline,
-            pour la création de commissions ecclésiastiques paritaires,
-            pour la participation à l’élaboration ou à la modification de toutes les réglementations internes de l’Eglise et notamment du nouveau Statut,
-            pour être obligatoirement consulté dans le cadre de la prise de décisions visant ses membres,
-            pour la négociation des contrats de travail,
-            pour la tenue d’élections démocratiques aux fins de la désignation des responsables ecclésiastiques,
-            pour l’assignation en justice des personnes physiques ou morales, y compris les autorités ecclésiastiques, qui méconnaîtraient par des mesures administratives ou normatives les droits et les intérêts de ses membres, et
-            pour l’utilisation de la pétition, de la manifestation et de la grève comme moyens de défense des intérêts, de la dignité et des droits fondamentaux de ses membres.
51.  En janvier 2011, le président du syndicat demanda sa dissolution, au motif que les relations de ses membres avec les autorités ecclésiastiques s’étaient beaucoup améliorées. Cette procédure est toujours pendante.
52.  Actuellement, il existe environ deux cents associations et fondations ecclésiastiques reconnues par les juridictions nationales et créées avec l’autorisation des évêques conformément aux dispositions du Statut de l’Eglise.
7.  La jurisprudence des juridictions internes
53.  Par un arrêt du 19 septembre 2005, la Haute Cour de cassation et de Justice a confirmé que les juridictions civiles étaient compétentes pour déclarer nul le licenciement d’un prêtre et pour vérifier l’exécution de la décision de justice ordonnant sa réintégration et le paiement de son salaire.
54.  Le 4 février 2010, dans une autre affaire, elle a confirmé un arrêt par lequel la cour d’appel de Bucarest avait rejeté l’action d’un prêtre orthodoxe qui contestait le refus de l’Inspection du travail de contrôler l’application du droit du travail par son employeur (l’évêché). Elle a considéré en effet que seules les dispositions statutaires internes étaient applicables à l’affaire, qu’elles prévalaient en l’espèce sur les normes générales du code du travail, et que l’Inspection du travail n’était pas compétente pour vérifier que l’évêché respectait ces normes.
55.  Dans trois décisions rendues le 10 juin 2008, le 3 juillet 2008 et le 7 avril 2011, la Cour constitutionnelle a jugé que l’existence d’instances de discipline internes au sein des communautés religieuses et l’impossibilité de contester leurs décisions devant les juridictions civiles constituait certes une restriction du droit d’accès à un tribunal, mais que cette restriction était justifiée par le fonctionnement autonome des communautés religieuses. A cet égard, elle a noté qu’en vertu de la loi no 489/2006, les seules affaires dont pouvaient connaître les juridictions laïques à l’égard des membres du clergé étaient celles qui concernaient des infractions.
B.  Le droit international
1.  Les normes universelles
56.  Les dispositions pertinentes de la Convention no 87 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (adoptée en 1948 et ratifiée par la Roumanie le 28 mai 1957) se lisent comme suit :
Article 2
« Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que le droit de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières. »
Article 3
« Les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d’action.
Les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal. »
Article 4
« Les organisations de travailleurs et d’employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative. »
Article 7
« L’acquisition de la personnalité juridique par les organisations de travailleurs et d’employeurs, leurs fédérations et confédérations, ne peut être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l’application des dispositions des articles 2, 3 et 4 ci-dessus. »
57.  Les dispositions pertinentes de la Recommandation no 198 sur la relation de travail, adoptée en 2006 par l’OIT, se lisent comme suit :
« 9.  Aux fins de la politique nationale de protection des travailleurs dans une relation de travail, la détermination de l’existence d’une telle relation devrait être guidée, en premier lieu, par les faits ayant trait à l’exécution du travail et à la rémunération du travailleur, nonobstant la manière dont la relation de travail est caractérisée dans tout arrangement contraire, contractuel ou autre, éventuellement convenu entre les parties.
(...)
11.  Afin de faciliter la détermination de l’existence d’une relation de travail, les Membres devraient, dans le cadre de la politique nationale visée dans la présente recommandation, envisager la possibilité :
(a)  d’autoriser une grande variété de moyens pour déterminer l’existence d’une relation de travail;
(b)  d’établir une présomption légale d’existence d’une relation de travail lorsqu’on est en présence d’un ou de plusieurs indices pertinents;
(c)  de décider, après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives, que les travailleurs ayant certaines caractéristiques doivent, d’une manière générale ou dans un secteur déterminé, être réputés travailleurs salariés ou travailleurs indépendants.
(...)
13.  Les Membres devraient envisager la possibilité de définir dans leur législation, ou par d’autres moyens, des indices spécifiques de l’existence d’une relation de travail. Ces indices pourraient comprendre :
(a)  le fait que le travail est exécuté selon les instructions et sous le contrôle d’une autre personne; qu’il implique l’intégration du travailleur dans l’organisation de l’entreprise; qu’il est effectué uniquement ou principalement pour le compte d’une autre personne; qu’il doit être accompli personnellement par le travailleur; qu’il est effectué selon un horaire déterminé ou sur le lieu spécifié ou accepté par la personne qui requiert le travail; qu’il a une durée donnée et présente une certaine continuité; qu’il suppose que le travailleur se tient à disposition; ou qu’il implique la fourniture d’outils, de matériaux ou de machines par la personne qui requiert le travail ;
(b)  le caractère périodique de la rémunération du travailleur; le fait qu’elle constitue son unique ou principale source de revenus; le paiement en nature sous forme de vivres, de logement, de transport, ou autres; la reconnaissance de droits tels que le repos hebdomadaire et les congés annuels; le financement des déplacements professionnels du travailleur par la personne qui requiert le travail; ou l’absence de risques financiers pour le travailleur. »
2.  Les normes européennes
58.  La Roumanie a ratifié la Charte sociale européenne (révisée) le 7 mai 1999. L’article 5 de la Charte, qui porte sur le droit syndical, est ainsi libellé :
« En vue de garantir ou de promouvoir la liberté pour les travailleurs et les employeurs de constituer des organisations locales, nationales ou internationales, pour la protection de leurs intérêts économiques et sociaux et d’adhérer à ces organisations, les Parties contractantes s’engagent à ce que la législation nationale ne porte pas atteinte, ni ne soit appliquée de manière à porter atteinte à cette liberté. La mesure dans laquelle les garanties prévues au présent article s’appliqueront à la police sera déterminée par la législation ou la réglementation nationale. Le principe de l’application de ces garanties aux membres des forces armées et la mesure dans laquelle elles s’appliqueraient à cette catégorie de personnes sont également déterminés par la législation ou la réglementation nationale. »
59.  L’article 12 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts. »
60.  En ses passages pertinents, la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail est ainsi libellée :
« Le Conseil de l’Union européenne (...)
Considérant ce qui suit : (...)
(4)  Le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et la protection contre la discrimination constitue un droit universel reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, par la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, par les pactes des Nations unies relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signés par tous les Etats membres. La Convention no 111 de l’Organisation internationale du travail interdit la discrimination en matière d’emploi et de travail.
(5)  Il est important de respecter ces droits fondamentaux et ces libertés fondamentales. La présente directive ne porte pas atteinte à la liberté d’association, dont le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.
(...)
(24)  L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des Eglises et des organisations non confessionnelles, annexé à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Eglises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non-confessionnelles. Dans cette perspective, les Etats membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle.
(...)
A arrêté la présente directive :
(...) »
Article 4
Exigences professionnelles
« 1.  (...) Les Etats membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur [la religion ou les convictions] ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.
2.  Les Etats membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur (...) ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’Eglises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. (...)
Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des Eglises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. »
61.  Dans la pratique des Etats européens, les modèles constitutionnels régissant les relations entre l’Etat et les cultes sont divers. Dans une majorité d’Etats membres du Conseil de l’Europe[1], la loi ne définit pas elle‑même la nature de la relation juridique qui lie une organisation cultuelle à ses ministres. L’organisation religieuse peut conclure un contrat de travail avec ses ministres du culte, mais elle n’y est pas obligée et, le plus souvent, elle ne le fait pas. Cependant, même en l’absence de contrat de travail, les membres du clergé ont souvent accès aux prestations sociales dans les mêmes conditions que les autres bénéficiaires du régime de la sécurité sociale. Dans une minorité d’Etats[2], ces relations sont soumises au droit du travail qui leur est applicable mais il existe une obligation accrue de loyauté des membres du clergé envers l’organisation religieuse qui les emploie. Enfin, dans d’autres Etats[3], les juridictions internes déterminent au cas par cas s’il existe ou non une relation assimilable à un contrat de travail.
En ce qui concerne la liberté syndicale des ministres du culte, aucun Etat ne prévoit d’interdiction formelle pour les membres du clergé de former des syndicats et, dans certains Etats, ce droit leur est même expressément garanti. Il y a lieu de noter également que, par exemple, en Autriche, en Bulgarie, en Finlande, en Turquie, en France, au Royaume-Uni, en Irlande et aux Pays-Bas, il existe des syndicats des ministres du culte ou des associations défendant des intérêts très proches de ceux que défendent les syndicats de travailleurs.
EN DROIT
I.  SUR L’ANONYMAT DE LA REQUÊTE ET L’ATTEINTE ALLÉGUÉE AU DROIT DE RECOURS INDIVIDUEL
A.  Thèses des parties
62.  Le syndicat requérant soutient que dès qu’a été prise l’initiative de constituer un syndicat, ses membres ont été soumis à de très fortes pressions de la part de l’Eglise, pressions qui auraient continué après l’introduction de la requête devant la Cour et qui auraient contraint plusieurs membres à se retirer de la procédure et d’autres à demander l’anonymat pour pouvoir la poursuivre.
63.  Il affirme que ces pressions se sont accrues après le prononcé de l’arrêt de la chambre et cite, pour appuyer ses dires, plusieurs déclarations de la hiérarchie de l’Eglise relayées par la presse ainsi qu’un communiqué de février 2012 par lequel le Patriarcat orthodoxe roumain critique cet arrêt.
64.  Au vu de ces éléments, il estime que l’Etat a failli à son obligation positive de protéger les personnes qui s’adressent à la Cour, non seulement des pressions des autorités de l’Etat, mais également des pressions provenant de tiers.
65.  Dès lors, il demande à la Grande Chambre de constater la violation de l’article 34 de la Convention.
66.  Le Gouvernement exprime des doutes quant au fait que la présente requête exprime la volonté des membres du syndicat requérant de saisir la Cour. Il argue que l’identité et le nombre de personnes ayant saisi la Cour au nom du syndicat ont changé au cours de la procédure devant la chambre et demande à la Grande Chambre d’établir l’identité exacte des personnes qui se sont adressées à la Cour et qui ont maintenu la requête. Sans invoquer d’exception préliminaire, il estime que cette question présente de l’importance en ce qui concerne d’une part le fond de l’affaire et d’autre part la satisfaction équitable.
67.  Il soutient que seules des mesures délibérées de l’Etat peuvent s’analyser en entraves au droit de recours individuel. Aucune action ou inaction cautionnant ou admettant délibérément l’attitude prétendument abusive de l’Eglise ne pouvant selon lui être reprochée aux autorités en l’espèce, l’Etat ne pourrait être jugé responsable d’une violation du droit de recours individuel.
B.  Appréciation de la Grande Chambre
68.  La Grande Chambre relève que les positions respectives du Gouvernement et du syndicat requérant, quoique distinctes, ont trait toutes deux à l’application de l’article 34 de la Convention, pris seul ou combiné avec l’article 35 § 2 a) de la Convention. Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 34
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
Article 35 § 2
« La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque
a)  elle est anonyme (...) »
1.  Sur l’anonymat allégué de la requête
69.  La Grande Chambre observe d’emblée que le Gouvernement est forclos à soulever cette question dès lors qu’il a omis de le faire devant la chambre. En effet, et pour autant qu’il met en doute la recevabilité de la requête en raison du fait que certains membres du syndicat requérant ont souhaité demeurer anonymes, elle rappelle qu’un gouvernement qui nourrit des doutes sur l’authenticité d’une requête doit lui en faire part en temps utile et que la Cour est seule compétente pour se prononcer sur le point de savoir si une requête satisfait aux exigences des articles 34 et 35 de la Convention (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 293, CEDH 2005‑III).
70.  Elle rappelle également que l’octroi de l’anonymat, en vertu de l’article 47 § 3 de son règlement, aux personnes qui s’adressent à la Cour vise à protéger les requérants qui estiment que la divulgation de leur identité pourrait leur porter préjudice. En effet, en l’absence d’une telle protection, ces requérants pourraient être dissuadés de communiquer librement avec elle. En outre, une association qui a été dissoute ou dont l’enregistrement a été refusé a la capacité de former, par l’intermédiaire de ses représentants, une requête dénonçant cette dissolution ou ce refus (Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, nos 29221/95 et 29225/95, § 57, CEDH 2001‑IX).
71.  En l’espèce, la Cour note que le syndicat requérant l’a saisie par l’intermédiaire de ses représentants, qui ont mandaté à cette fin Me I. Gruia. Ils ont ensuite démenti les déclarations que l’archevêché de Craiova lui avait fait parvenir et dans lesquelles ils disaient renoncer à leur requête. Ils ont précisé que l’archevêché les avait contraints à faire ces déclarations. Etant donné qu’ils avaient fourni des éléments factuels et juridiques permettant à la Cour de les identifier et d’établir leurs liens avec les faits litigieux et le grief invoqué, le Président de la Chambre puis le Président de la Grande Chambre ont l’un comme l’autre accédé à leur demande de non-divulgation de leur identité.
72.  Dans ces conditions, la Cour estime que la requête n’est pas anonyme au sens de l’article 35 § 2 de la Convention et que la volonté des membres du syndicat d’agir devant elle au nom du syndicat requérant ne fait pas de doute. En conséquence, même à supposer que le Gouvernement ne soit pas forclos à soulever une objection tirée de l’anonymat de la requête, la Cour rejette cette exception.
2.  Sur l’entrave alléguée à l’exercice du droit de recours individuel
73.  La Cour rappelle que l’engagement de ne pas entraver l’exercice efficace du droit de recours interdit les ingérences dans l’exercice du droit pour l’individu de porter et défendre effectivement sa cause devant elle. Pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’article 34 soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs. Ainsi qu’elle l’a relevé dans des affaires antérieures, par le mot « presse[r] », il faut entendre non seulement la coercition directe et les actes flagrants d’intimidation des requérants déclarés ou potentiels, de leur famille ou de leurs représentants en justice, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader ceux-ci ou à les décourager de se prévaloir du recours qu’offre la Convention (voir, entre autres, Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 102, CEDH 2005‑I).
74.  En l’espèce, la Cour note que le syndicat requérant a invoqué la violation de l’article 34 de la Convention pour la première fois devant la Grande Chambre. Elle relève par ailleurs que les faits dénoncés, dont la demande de renonciation à la requête introduite devant la Cour, ont eu lieu avant le prononcé de l’arrêt de la chambre (paragraphes 23 et 24 ci-dessus).
75.  Eu égard au fait que le syndicat requérant a été représenté par un avocat dès l’introduction de la requête et qu’il n’expose pas de raisons particulières qui auraient pu le dispenser d’invoquer devant la chambre la violation de l’article 34 de la Convention, la Grande Chambre estime qu’il est forclos à le faire devant elle.
76.  Pour autant qu’il dénonce des faits qui se seraient produits après la saisine de la Grande Chambre, à l’égard desquels il ne serait donc pas forclos à invoquer une violation de l’article 34, la Cour rappelle que si les autorités d’un Etat contractant approuvent, formellement ou tacitement, les actes de particuliers violant dans le chef d’autres particuliers soumis à sa juridiction les droits garantis par la Convention, la responsabilité dudit Etat peut se trouver engagée au regard de la Convention (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 81, CEDH 2001‑IV).
77.  Toutefois, en l’espèce, elle constate que le syndicat requérant n’étaye pas son allégation selon laquelle les pressions que ses membres auraient subies se seraient intensifiées après le prononcé de l’arrêt de chambre de façon telle qu’il faille reprocher à l’Etat de n’être pas intervenu pour les faire cesser.
78.  A cet égard, elle note qu’à l’appui de ses allégations, le syndicat n’invoque que les déclarations, relayées par la presse, du Patriarcat orthodoxe et de plusieurs membres de la hiérarchie de l’Eglise qui critiquaient l’arrêt de la chambre. Toutefois, ces prises de position ne semblent pas avoir été suivies de mesures destinées à pousser les membres du syndicat à retirer ou modifier la requête portée devant la Grande Chambre ou à entraver de quelque autre manière l’exercice qu’ils feraient de leur droit de recours individuel.
79.  De l’avis de la Cour, les faits de la cause ne permettent pas de conclure que les autorités nationales ont exercé ou laissé exercer des pressions sur les membres du syndicat requérant ou qu’elles ont failli de quelque autre manière que ce soit à leur obligation de garantir l’effectivité du droit de recours individuel. Elles ne sauraient être tenues pour responsables des actes de la presse ni des propos tenus dans l’exercice de leur liberté d’expression par des personnes qui ne sont pas dépositaires de l’autorité publique.
80.  Dans ces conditions, la Cour estime, premièrement, que le syndicat requérant est forclos à invoquer la violation de l’article 34 de la Convention à raison de faits qui ont eu lieu avant le prononcé de l’arrêt de la chambre et, deuxièmement, qu’en ce qui concerne les faits postérieurs à cette date l’Etat défendeur n’a pas méconnu les obligations qui lui incombaient aux termes de l’article 34 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
81.  Le syndicat requérant estime qu’en rejetant sa demande d’enregistrement, le tribunal départemental de Dolj a méconnu son droit à la liberté syndicale garanti par l’article 11 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
A.  L’arrêt de chambre
82.  Dans son arrêt du 31 janvier 2012, la chambre a conclu à la violation de l’article 11 de la Convention. Observant que les prêtres et le personnel laïc exerçaient leurs fonctions au sein de l’Eglise orthodoxe roumaine dans le cadre d’un contrat de travail, qu’ils percevaient une rémunération financée en majorité par le budget de l’Etat et qu’ils relevaient du régime général d’assurances sociales, elle a jugé que la relation fondée sur un contrat de travail ne pouvait être soustraite à toute règle de droit civil. Elle a conclu que les membres du clergé et, à plus forte raison, les employés laïcs de l’Eglise, ne pouvaient être exclus du champ d’application de l’article 11.
83.  Examinant ensuite le refus d’enregistrer le syndicat requérant à la lumière des principes généraux du droit syndical, elle a admis que la mesure était prévue par la législation interne (à savoir les lois nos 54/2003 et 489/2006 relatives à la liberté syndicale et religieuse, interprétées par le tribunal départemental à la lumière du Statut de l’Eglise orthodoxe) et poursuivait un objectif légitime (à savoir la défense de l’ordre public, qui comprend la liberté et l’autonomie des communautés religieuses) en ce qu’elle visait à empêcher qu’il n’y ait une disparité entre la loi et la pratique en matière de création de syndicats au sein du personnel ecclésiastique.
84.  Puis elle a constaté que le tribunal départemental avait fondé son rejet de la demande d’enregistrement du syndicat requérant principalement sur la nécessité de protéger la tradition chrétienne orthodoxe, ses dogmes fondateurs et le mode canonique de prise des décisions. A cet égard, elle a estimé que les critères définissant le « besoin social impérieux » n’étaient pas réunis en l’espèce, le tribunal n’ayant pas établi que le programme que le syndicat s’était fixé dans son statut ou les prises de position de ses membres étaient incompatibles avec une « société démocratique » et encore moins qu’ils représentaient une menace pour la démocratie.
85.  Les motifs invoqués par le tribunal départemental pour justifier le refus d’enregistrement étant exclusivement d’ordre religieux, elle a considéré par ailleurs qu’il n’avait suffisamment tenu compte ni des intérêts des employés de l’Eglise orthodoxe roumaine, en particulier de l’existence d’un contrat de travail entre eux et l’Eglise, ni de la distinction entre les membres du clergé et les employés laïcs de l’Eglise, ni de la question de la compatibilité entre les réglementations internes et internationales qui consacrent le droit des travailleurs de se syndiquer et les règles de nature ecclésiastique l’interdisant.
86.  Enfin, notant que la liberté syndicale des employés de l’Eglise orthodoxe avait déjà été reconnue par les juridictions internes au profit d’autres syndicats, la chambre a conclu qu’une mesure aussi radicale que le rejet de la demande d’enregistrement du syndicat requérant était disproportionnée au but visé et que, partant, elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
B.  Thèse des parties
1.  Le syndicat requérant
87.  Le syndicat requérant soutient que les prêtres et le personnel clérical de l’Eglise orthodoxe roumaine ont un statut similaire à celui des fonctionnaires de l’Etat. Comme eux, en effet, ils seraient recrutés sur concours. Ils seraient ensuite nommés par l’archevêché, dans le cadre d’une décision prévoyant leurs droits et leurs obligations. Ils prêteraient serment à l’occasion de leur ordination et leur salaire serait déterminé par la loi fixant la rémunération de l’ensemble des fonctionnaires et réduit dans les mêmes proportions en cas de crise économique. Ils cotiseraient au régime général de sécurité sociale et auraient droit à l’ensemble des prestations sociales. En outre, l’Eglise orthodoxe roumaine recevrait une allocation budgétaire similaire à celle versée aux universités, destinée à financer le paiement de leurs salaires. En conséquence, le syndicat requérant estime que ni la pratique de l’Eglise orthodoxe roumaine consistant à ne pas conclure de contrats de travail avec ses employés ni le fait qu’elle finance sur ses fonds propres une partie de leur rémunération ne peuvent modifier la réalité de la relation existant entre elle et ses employés, cette relation comportant tous les éléments d’un contrat de travail et étant similaire à celle qui lie un fonctionnaire à l’institution qui l’emploie.
88.  Il allègue que, contrairement à d’autres catégories professionnelles qui sont également soumises à des obligations de loyauté spécifiques et dont les intérêts sont défendus par des syndicats, les employés de l’Eglise orthodoxe roumaine, soit environ 15 000 personnes, sont dépourvus de toute forme de protection face aux éventuels abus concernant notamment la rémunération ou les mutations.
89.  Il ajoute que l’atteinte portée au droit à la liberté d’association de ses membres n’était pas prévue par le droit interne. A cet égard, il invoque les articles 40, 53 et 73 de la Constitution, qui garantissent aux citoyens le droit de s’associer librement pour former des partis politiques, des syndicats, des organisations patronales ou d’autres formes d’association et prévoient que ce droit ne peut être restreint que par une loi organique. Il estime qu’il découle de ces dispositions qu’aucun texte normatif n’interdit aux prêtres de se syndiquer, le refus d’enregistrement dont il a fait l’objet ayant pour seule base l’article 123 § 8 du Statut de l’Eglise : le seul fait que ce statut ait été approuvé par le Gouvernement ne lui confèrerait pas le statut d’acte normatif de droit interne, encore moins celui de loi organique apte à restreindre une liberté constitutionnelle. Estimant que l’article 123 § 8 du Statut est contraire à la Constitution, il conclut que l’interdiction qui lui a été imposée était contraire au droit interne. Cette décision serait donc dépourvue de base légale et, partant, emporterait violation de l’article 11 de la Convention.
90.  Le syndicat requérant admet que la mesure litigieuse poursuivait un but légitime, à savoir la protection des intérêts de l’Eglise, mais il soutient qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique pour protéger l’autonomie religieuse de l’Eglise.
91.  Selon lui, dans les rapports entre l’Etat et les cultes, il faut distinguer les activités religieuses des communautés de leurs actes civils et commerciaux. Ainsi, si toute ingérence de l’Etat dans les activités religieuses devrait être strictement interdite, les actes civils et commerciaux de l’Eglise n’auraient aucun rapport avec la religion ou avec la mission spirituelle de l’Eglise. Dès lors, ils devraient être soumis à la loi civile. A cet égard, le syndicat requérant précise qu’il ne souhaite modifier ni le dogme chrétien ni le service religieux et qu’il veut seulement lutter pour la protection des droits légaux de ses membres, dont le droit de recevoir le salaire garanti par la loi et celui de ne pas faire l’objet d’un licenciement arbitraire. Par ailleurs, il affirme que les membres avaient demandé – et obtenu – oralement l’autorisation de fonder le syndicat, mais que par la suite l’archevêque est revenu sur son accord initial en raison de l’opposition manifestée par le Saint Synode.
92.  Le syndicat requérant admet que certains des objectifs qu’il s’était fixés dans ses statuts peuvent paraître contraires à l’activité des prêtres, mais il affirme qu’ils ont été « recopiés tels quels de la loi sur les syndicats » et il soutient qu’ils visaient également la défense des intérêts des employés laïcs de l’Eglise, qui n’étaient pas soumis aux mêmes obligations que les prêtres. Il fait valoir par ailleurs qu’en toute hypothèse, toutes ses actions, qu’il s’agisse d’une grève ou d’autres activités similaires, auraient pu être soumises au contrôle des autorités judiciaires, lesquelles peuvent infliger des sanctions allant jusqu’à la dissolution. Il ajoute que, de surcroît, à supposer que les prêtres décident de se mettre en grève ou d’organiser d’autres activités dépassant leur mission sacerdotale, ils demeureraient soumis à la discipline ecclésiastique et à l’application du Statut de l’Eglise, qui prévoirait également des sanctions.
93.  Enfin, il rappelle que deux autres syndicats ont déjà été constitués au sein de l’Eglise sans que leur reconnaissance par l’Etat n’affecte l’organisation interne de celle-ci ni ne conduise à l’instauration de règles parallèles de gouvernance. Il fait valoir également que, dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, des syndicats de membres du personnel ecclésiastique fonctionnent librement.
94.  En conclusion, il considère que l’interdiction préventive du syndicat, fondée uniquement sur des présuppositions extraites de son statut, n’est pas proportionnée au but visé et emporte violation à son égard de l’article 11 de la Convention.
2.  Le Gouvernement
95.  Le Gouvernement ne soulève aucune exception d’irrecevabilité et admet que le refus d’enregistrer le syndicat requérant a constitué une ingérence dans son droit à la liberté d’association. Par ailleurs, il précise qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à ce que le personnel laïc de l’Eglise orthodoxe roumaine crée un syndicat.
96.  Pour ce qui est des membres du clergé, il argue qu’en vertu du Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine et de la loi sur la liberté religieuse, leur rapport avec l’Eglise est un « rapport de service et de mission librement assumé » qui se place en dehors de la sphère du droit du travail et donc du champ d’application du code du travail. Il souligne que les prêtres exercent leurs fonctions en vertu d’une décision de l’évêque qui établit leurs droits et leurs obligations et d’une profession de foi et d’obéissance prononcée à l’occasion de l’ordination. Il ajoute que les contrats de travail signés en 2004 par l’archevêché de Craiova étaient la conséquence d’une erreur d’interprétation de la loi et qu’ils n’ont jamais été enregistrés auprès de l’Inspection du travail, qui aurait d’ailleurs confirmé que la législation du travail n’était pas applicable aux rapports entre l’Eglise orthodoxe et son personnel ecclésiastique. Cette position serait également celle de la Haute Cour de cassation et de Justice et de la Cour constitutionnelle, qui auraient jugé qu’en vertu de l’autonomie des cultes, les juridictions internes ne sont pas compétentes pour contrôler les décisions des tribunaux ecclésiastiques au regard des dispositions du code du travail.
97.  Le Gouvernement affirme par ailleurs que l’Etat ne rémunère pas les prêtres, son rôle à cet égard se limitant à l’octroi d’une aide financière calculée en fonction du nombre de fidèles de l’Eglise et de ses besoins réels. Ce serait bel et bien à l’Eglise qu’il appartiendrait de redistribuer à son personnel l’argent reçu de l’Etat. Ainsi, l’Etat verserait à l’Eglise orthodoxe un total de 12 765 aides financières différentes, d’un montant compris entre 163 et 364 EUR, tandis que celle-ci rémunérerait sur ses fonds propres 1005 prêtres et 1408 employés laïcs. Quant à l’intégration des prêtres et des autres employés de l’Eglise dans le système public d’assurances sociales, le Gouvernement soutient qu’il s’agit là d’un choix du législateur national, lequel bénéficierait en la matière d’une ample marge d’appréciation, mais que cette intégration ne change pas leur statut et n’en fait pas des fonctionnaires de l’Etat.
98.  A titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle que les prêtres sont les administrateurs de leur paroisse et qu’à ce titre, ils exercent des fonctions de direction qui, en vertu de la loi no 54/2003, leur interdisent de se syndiquer.
99.  Au vu de ces éléments, le Gouvernement se dit préoccupé par l’idée d’une applicabilité de l’article 11 à la présente affaire compte tenu de l’inapplicabilité des dispositions du droit du travail aux membres du syndicat requérant.
100.  En tout état de cause, il estime que l’ingérence était prévue par la loi, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique.
101.  Selon lui, la base légale de la mesure litigieuse était l’article 123 § 8 du Statut de l’Eglise, qui subordonne à l’accord préalable de l’archevêque la participation du personnel clérical à quelque forme d’association que ce soit. Cette disposition ferait partie du droit interne depuis que le Statut a été approuvé par un arrêté du Gouvernement ; et elle ne serait pas contraire à la Constitution, celle-ci garantissant certes la liberté d’association, y compris la liberté syndicale, mais dans les conditions prévues par la loi. Or, en l’espèce, la loi applicable serait le Statut de l’Eglise. Par ailleurs, l’absence dans la loi sur la liberté syndicale d’une interdiction expresse pour les prêtres de former un syndicat n’équivaudrait pas à la reconnaissance implicite de ce droit alors que, dans l’exercice de son autonomie, l’Eglise aurait choisi de faire dépendre l’activité de son personnel d’autres règles que celles du droit du travail.
102.  En ce qui concerne le but légitime de l’ingérence, le Gouvernement invite la Grande Chambre à s’éloigner de l’analyse de la chambre, qui a considéré que la mesure litigieuse visait à défendre l’ordre public, en protégeant la liberté et l’autonomie des communautés religieuses. Il soutient qu’elle visait exclusivement à protéger les droits et libertés d’autrui, en l’espèce ceux de l’Eglise orthodoxe roumaine. Dès lors, la référence spécifique à l’ordre public ne serait pas pertinente en l’espèce.
103.  Pour ce qui est de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure, le Gouvernement souligne d’emblée que l’interdiction de constituer des syndicats sans l’accord de l’archevêque ne concerne que le personnel clérical de l’Eglise, ses employés laïcs demeurant libres de s’associer selon les conditions et les critères prévus par la loi sur la liberté syndicale.
104.  Quant à la liberté d’association du personnel clérical, elle serait pleinement respectée au sein de l’Eglise orthodoxe roumaine, qui compterait plusieurs centaines d’associations et de fondations, et notamment, dans l’archevêché de Craiova, l’association Apostolia.
105.  Pour le Gouvernement, l’autorisation de l’archevêque exigée pour toute forme d’association des clercs est une condition légitime : il s’agirait d’une manifestation du principe de l’autonomie de l’Eglise. En l’espèce, il s’étonne que le syndicat requérant ne l’ait pas demandée et affirme que les tribunaux de l’ordre judiciaire auraient pu le cas échéant censurer le caractère abusif d’un éventuel refus.
106.  Il indique qu’en raison de leur statut, les prêtres membres du syndicat sont tenus à une obligation accrue de loyauté envers l’Eglise orthodoxe. Selon lui, il n’existe pas de droit à la dissidence : les prêtres mécontents pourraient à tout moment quitter l’Eglise mais, tant qu’ils choisissent d’y rester, ils devraient être considérés comme ayant librement consenti à se conformer à ses règles et à renoncer à certains de leurs droits.
107.  En ce qui concerne les effets possibles de la création d’un syndicat sur le mode de fonctionnement de l’Eglise, il argue qu’il ressort du statut du syndicat requérant que celui-ci s’efforcerait s’il était effectivement constitué d’obtenir la mise en place de règles parallèles à celles de l’Eglise. Cela apparaîtrait clairement à la lecture des passages concernant le recrutement du personnel, la promotion de la libre initiative, de la concurrence et de la liberté d’expression, la signature des conventions collectives et des contrats de travail, le respect de la législation civile sur le temps de travail, la représentation dans les structures de décision, ou encore le droit de grève. Le Gouvernement estime donc que la reconnaissance du syndicat aurait nécessairement abouti à l’émergence au sein de l’Eglise orthodoxe roumaine d’un système de codirection qui aurait été source de conflits entre le syndicat et la hiérarchie, conflits que les autorités internes auraient dû arbitrer, au mépris de l’obligation de neutralité et d’impartialité de l’Etat et en violation de l’autonomie des cultes.
108.  Il explique que l’Etat était soucieux en l’espèce de couper court à toute initiative de syndicalisation avant que le syndicat requérant ne déploie son activité et que cette démarche était justifiée par le fait que le syndicat aurait pu faire usage des droits prévus par la loi sur la liberté syndicale dès son enregistrement et sans aucune forme de contrôle judiciaire préventif.
109.  Enfin, le Gouvernement fait valoir la grande diversité des règles relatives au statut des prêtres et à leur droit à la liberté d’association au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe : l’absence de consensus européen en la matière plaiderait pour que soit laissée aux autorités nationales une large marge d’appréciation.
C.  Les tiers intervenants
110.  Les gouvernements et les organisations non gouvernementales intervenants déclarent partager le point de vue du gouvernement défendeur.
1.  Le gouvernement grec
111.  Le gouvernement grec estime qu’en cas de conflit entre les droits garantis respectivement par les articles 9 et 11 de la Convention, la Cour doit commencer par rechercher si la reconnaissance d’un droit à la liberté d’association au sein d’une organisation religieuse ne porte pas atteinte au droit à l’autonomie de l’organisation en question. Selon lui, c’est l’autonomie des organisations religieuses qui doit prévaloir, et ces organisations doivent jouir du droit de régler leurs relations avec leur personnel sur la base de leurs propres statuts, même si ceux-ci apportent des restrictions ou des limitations à l’exercice de certains droits.
112.  De l’avis du gouvernement grec, l’activité des prêtres étant essentiellement religieuse, la distinction entre les activités religieuses et les activités non religieuses n’est pas pertinente. De plus, les juridictions internes seraient mieux placées qu’une juridiction internationale pour trancher les conflits apparaissant dans ce domaine.
2.  Le gouvernement moldave
113.  Le gouvernement moldave estime que la chambre n’a pas suffisamment mis en balance la liberté d’association revendiquée par le syndicat requérant avec la liberté de religion et le droit à l’autonomie de l’Eglise orthodoxe. Il estime que l’on ne peut pas déduire de l’article 11 de la Convention une obligation positive pour l’Etat de reconnaître une association laïque au sein d’une organisation religieuse lorsque cette reconnaissance irait à l’encontre de l’obligation de neutralité de l’Etat envers les cultes.
114.  Il considère par ailleurs qu’en vertu de l’article 9 de la Convention, les membres d’une organisation religieuse doivent être considérés comme ayant choisi librement, lorsqu’ils y ont adhéré, de renoncer à certains des droits civils qu’ils pourraient tirer de l’article 11.
3.  Le gouvernement polonais
115.  Le gouvernement polonais est d’avis que la chambre aurait dû se pencher davantage sur la nature particulière de la relation qui unit l’Eglise à son clergé. Selon lui, le caractère économique, social ou culturel des droits revendiqués par une partie du clergé ne permet pas de conclure que la reconnaissance d’un syndicat de membres du clergé ne risquerait pas de porter atteinte au fonctionnement autonome de l’organisation religieuse.
116.  Il considère qu’il appartient en premier lieu aux organisations religieuses de décider elles-mêmes quelles sont les activités qui relèvent de la pratique religieuse ou qui ont une incidence sur leur organisation interne ou sur leur mission, et que confier ce rôle aux juridictions internes serait source de conflits et érigerait le juge interne en arbitre des questions religieuses, au mépris de l’autonomie des cultes et du devoir de neutralité de l’Etat.
117.  Enfin, il estime que, de par leur formation et leur choix de rejoindre le clergé, les prêtres ont un devoir accru de loyauté envers l’Eglise et doivent être conscients des exigences de leur mission, qui limitent l’exercice de certains droits.
4.  Le gouvernement géorgien
118.  Le gouvernement géorgien souligne que les rapports entre l’Etat et l’Eglise sont réglés de manière différente d’un pays à l’autre et qu’il n’y a pas de consensus européen en la matière.
119.  Dès lors, il estime que les Etats contractants et leurs juridictions doivent jouir d’une ample marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de protéger contre toute atteinte l’autonomie des organisations religieuses. Selon lui, l’Etat doit s’abstenir d’encourager toute forme de dissidence au sein de ces organisations.
5.  L’archevêché de Craiova
120.  Selon l’archevêché de Craiova, dans l’Eglise orthodoxe roumaine, la figure canonique du prêtre est directement liée à celle de l’évêque. Le rapport entre l’évêque et son clergé serait basé sur la confiance réciproque et l’unité de la mission de l’Eglise, et il ne serait pas concevable en droit canonique qu’il puisse y avoir un antagonisme entre, d’une part, l’autorité ecclésiastique représentée par le Saint Synode et, d’autre part, les évêques et les membres du clergé. Ceux-ci participeraient à l’exercice démocratique de l’autorité ecclésiastique et pourraient se prévaloir des règles internes de l’Eglise pour se défendre en cas d’abus d’autorité. De plus, un éventuel refus de l’archevêque d’autoriser la constitution d’une association pourrait être contesté devant le Saint Synode.
121.  L’archevêché conclut que la création d’un syndicat de prêtres et de membres du personnel laïc bouleverserait les rapports qui existent entre l’Eglise et le clergé et représenterait une menace pour l’ordre public et pour la paix sociale.
6.  Le Patriarcat de Moscou
122.  Le Patriarcat de Moscou insiste sur la spécificité des relations hiérarchiques de service qui existent dans les groupements religieux et sur le degré élevé de loyauté que ces relations impliquent. L’Etat devrait garantir aux organisations religieuses, en vertu de leur autonomie, la compétence exclusive de décider de leur structure et de leurs normes internes de fonctionnement.
123.  L’élément fondamental de la relation de service des prêtres serait l’accomplissement du service religieux, et cette relation ne pourrait pas être réduite de manière abstraite et artificielle à une relation de travail soumise aux règles civiles. Selon le Patriarcat de Moscou, il est impossible en pratique d’étendre le champ d’application de la législation civile aux organisations religieuses, et une telle démarche confronterait ces organisations, y compris l’Eglise orthodoxe russe, à des problèmes insolubles.
7.  L’organisation non gouvernementale European Centre for Law and Justice (ECLJ)
124.  L’ECLJ estime que les prêtres sont tenus à une obligation de loyauté accrue envers l’Eglise. Cette obligation aurait été reconnue aussi bien dans la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 que dans la jurisprudence de la Cour.
125.  Il ajoute que les prêtres ne relèvent pas du champ d’application de la liberté syndicale car ils ne sont pas des « employés » mais ont une mission exclusivement religieuse et leur relation avec l’Eglise n’est pas fondée sur un contrat de travail.
126.  Enfin, il considère que si, comme en l’espèce, les faits litigieux sont de nature religieuse, l’ingérence ne peut pas faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité qui mettrait en balance les intérêts des organisations religieuses avec ceux que des particuliers pourraient invoquer en vertu des articles 8 à 12 de la Convention car il s’agit alors de droits que ces particuliers ont librement décidé de ne pas exercer.
8.  Les organisations non gouvernementales Becket Fund et International Center for Law and Religion Studies
127.  Ces organisations renvoient à la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis concernant l’autonomie des cultes. Dans l’affaire National Labor Relations Board v. Catholic Bishop of Chicago, 440 U.S. 490 (1979), la haute juridiction a jugé que les autorités internes ne pouvaient pas passer outre la volonté de l’évêque et reconnaître un syndicat des professeurs des écoles catholiques, estimant que pareille reconnaissance aurait porté atteinte au fonctionnement autonome des cultes. Dans l’affaire Hosanna-Tabor Evangelical Lutheran Church and School v. Equal Employment Opportunity Commission, no 10-553 (2012), elle a appliqué la doctrine de l’« exception cléricale » (ministerial exception) et a jugé que les dispositions du droit du travail n’étaient applicables ni au personnel clérical ni au personnel laïc des organisations religieuses.
128.  Il y aurait une convergence de points de vue entre la position de la Cour suprême des Etats-Unis et celle de la Cour européenne en matière de protection de l’autonomie des cultes dans leurs relations avec leur personnel clérical. La chambre aurait donc commis une erreur en s’écartant de cette position, et cette erreur aurait des conséquences négatives sur l’autonomie des cultes en ce que l’Etat risquerait, si l’arrêt de la chambre était confirmé, de devoir arbitrer des conflits entre les organisations religieuses et leurs membres.
D.  Appréciation de la Grande Chambre
129.  Le Gouvernement met en cause l’applicabilité au personnel clérical de l’Eglise de l’article 11 de la Convention. La Grande Chambre estime que cette question relève de l’examen au fond du litige et, par conséquent, elle l’examinera ci-dessous.
1.  Principes généraux
a)  Sur le droit de fonder des syndicats
130.  Tout d’abord, la Cour observe, eu égard à l’évolution du droit international du travail, que la liberté syndicale est un élément essentiel du dialogue social entre travailleurs et employeurs et, par là même, un outil important dans la recherche de la justice et de la paix sociales.
131.  Ensuite, elle rappelle que l’article 11 de la Convention présente la liberté syndicale comme un aspect particulier de la liberté d’association et que, si cet article a pour objectif essentiel de protéger l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics dans l’exercice des droits qu’il consacre, il peut impliquer en outre l’obligation positive d’en assurer la jouissance effective (Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, §§ 109 et 110, CEDH 2008).
132.  La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’Etat au titre de l’article 11 de la Convention ne se prête pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Que l’on analyse l’affaire sous l’angle d’une obligation positive à la charge de l’Etat ou sous celui d’une ingérence des pouvoirs publics demandant une justification, les critères à appliquer ne sont pas différents en substance. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble.
133.  Vu le caractère sensible des questions sociales et politiques liées à la recherche d’un juste équilibre entre les intérêts respectifs des salariés et des employeurs et compte tenu du fort degré de divergence entre les sytèmes nationaux à cet égard, les Etats contractants bénéficient d’une ample marge d’appréciation quant à la manière d’assurer la liberté syndicale et la possibilité pour les syndicats de protéger les intérêts professionnels de leurs membres (Sørensen et Rasmussen c. Danemark [GC], nos 52562/99 et 52620/99, § 58, CEDH 2006‑I).
134.  L’article 11 de la Convention garantit aux membres d’un syndicat, en vue de la défense de leurs intérêts, le droit à ce que leur syndicat soit entendu, mais il ne leur garantit pas un traitement précis de la part de l’Etat. Ce qu’exige la Convention, c’est que la législation permette aux syndicats, selon des modalités conformes à l’article 11, de lutter pour la défense des intérêts de leurs membres (voir les arrêts Syndicat national de la police belge c. Belgique, 27 octobre 1975, §§ 38 et 39, série A no 19, et Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède, 6 février 1976, §§ 39-40, série A no 20).
135.  Au fil de sa jurisprudence, la Cour a dégagé une liste non exhaustive d’éléments constitutifs du droit syndical, parmi lesquels figurent le droit de former un syndicat ou de s’y affilier, l’interdiction des accords de monopole syndical et le droit pour un syndicat de chercher à persuader l’employeur d’écouter ce qu’il a à dire au nom de ses membres. Récemment, elle a estimé, compte tenu des évolutions du monde du travail, qu’en principe et mis à part des cas très particuliers, le droit de mener des négociations collectives avec l’employeur est devenu l’un des éléments essentiels du droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts (Demir et Baykara, précité, §§ 145 et 154).
b)  Sur l’autonomie des organisations religieuses
136.  La Cour rappelle que les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées. Lorsqu’est en cause l’organisation de la communauté religieuse, l’article 9 de la Convention doit s’interpréter à la lumière de l’article 11, qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’Etat. Vu sous cet angle, le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’Etat. L’autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve au cœur même de la protection offerte par l’article 9 de la Convention. Elle présente un intérêt direct non seulement pour l’organisation de ces communautés en tant que telle, mais aussi pour la jouissance effective par l’ensemble de leurs membres actifs du droit à la liberté de religion. Si l’organisation de la vie de la communauté n’était pas protégée par l’article 9 de la Convention, tous les autres aspects de la liberté de religion de l’individu s’en trouveraient fragilisés (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 62, CEDH 2000‑XI ; Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 118, CEDH 2001 XII ; Saint Synode de l’Eglise orthodoxe bulgare (Métropolite Innocent) et autres c. Bulgarie, nos 412/03 et 35677/04, § 103, 22 janvier 2009).
137.  Le principe d’autonomie interdit à l’Etat d’obliger une communauté religieuse à admettre en son sein de nouveaux membres ou d’en exclure d’autres. De même, l’article 9 de la Convention ne garantit aucun droit à la dissidence à l’intérieur d’un organisme religieux ; en cas de désaccord doctrinal ou organisationnel entre une communauté religieuse et l’un de ses membres, la liberté de religion de l’individu s’exerce par sa faculté de quitter librement la communauté (Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 80, 15 septembre 2009).
138.  Enfin, lorsque se trouvent en jeu des questions relatives aux rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 109, CEDH 2005‑XI). C’est le cas notamment lorsqu’il existe, dans la pratique des Etats européens, une grande variété de modèles constitutionnels régissant les relations entre l’Etat et les cultes.
2.  Application de ces principes dans le cas d’espèce
139.  La Cour recherchera si, compte tenu de leur appartenance au clergé, les membres du syndicat requérant peuvent bénéficier des dispositions de l’article 11 de la Convention et, dans l’affirmative, si le refus d’enregistrer le syndicat a porté atteinte à la substance même de leur droit d’association.
a)  Sur l’applicabilité de l’article 11 aux faits de la cause
140.  Le point de savoir si les membres du syndicat requérant avaient le droit de créer celui-ci pose la question de l’applicabilité de l’article 11 à leur égard. Ici, la Grande Chambre ne partage pas la thèse du Gouvernement selon laquelle les membres du clergé doivent être exclus de la protection de l’article 11 de la Convention au motif qu’ils exercent leur activité sur la base d’un mandat de l’évêque et donc en dehors du champ d’application des normes internes du droit du travail.
141.  Il n’appartient pas à la Cour de trancher la controverse qui oppose les membres du syndicat à leur hiérarchie au sujet de la nature exacte des fonctions qu’ils exercent. La seule question qui se pose ici, en effet, est celle de savoir si les fonctions dont il s’agit, malgré leur éventuelle spécificité, sont constitutives d’une relation de travail entraînant l’applicabilité du droit de fonder un syndicat au sens de l’article 11.
142.  Pour y répondre, la Grande Chambre appliquera les critères prévus par les instruments internationaux pertinents (voir, mutatis mutandis, Demir et Baykara, précité, § 85). A cet égard, elle note que, dans sa Recommandation no 198 sur la relation de travail (paragraphe 57 ci-dessus), l’Organisation internationale du Travail considère que la détermination de l’existence d’une telle relation doit être guidée, en premier lieu, par les faits ayant trait à l’exécution du travail et à la rémunération du travailleur, nonobstant la manière dont la relation de travail est caractérisée dans tout arrangement contraire, contractuel ou autre, éventuellement convenu entre les parties. Par ailleurs, la Convention no 87 de l’OIT (paragraphe 56 ci‑dessus), qui est le principal instrument juridique international garantissant le droit à la liberté syndicale, prévoit en son article 2 que « les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte », ont le droit de constituer des organisations de leur choix. Enfin, si la directive 78/2000/CE du Conseil (paragraphe 60 ci-dessus) admet l’existence d’un devoir de loyauté accru eu égard à l’éthique de l’employeur, elle précise qu’il ne peut pas y avoir d’atteinte à la liberté d’association et en particulier au droit de toute personne de fonder des syndicats.
143.  Eu égard à ces éléments, la Cour observe que les fonctions exercées par les membres du syndicat litigieux présentent de nombreux aspects caractéristiques d’une relation de travail. Ainsi, ils exercent leur activité sur la base d’une décision de l’évêque qui prononce leur nomination et précise leurs droits et leurs obligations. Sous la direction et la supervision de l’évêque, ils s’acquittent des tâches qui leur sont assignées, parmi lesquelles figurent, outre l’accomplissent des rites du culte et les contacts avec les fidèles, l’enseignement et la gestion du patrimoine de la paroisse, les membres du clergé étant responsables de la vente d’objets religieux (paragraphe 44 ci-dessus). En outre, la loi nationale prévoit un nombre précis de postes ecclésiastiques et laïcs financés majoritairement par le budget de l’Etat et des collectivités locales, la rémunération des personnes occupant ces postes étant par ailleurs fixée par rapport à celle des fonctionnaires du ministère de l’éducation nationale (paragraphes 30 et suivants ci-dessus). L’Eglise orthodoxe roumaine paie des cotisations patronales sur les rémunérations versées aux membres de son clergé, et les prêtres s’acquittent de l’impôt sur le revenu, cotisent à la caisse nationale de sécurité sociale et bénéficient de l’ensemble des prestations sociales ouvertes aux salariés ordinaires, dont l’assurance santé, le versement d’une pension à partir de l’âge légal de départ à la retraite, ou encore l’assurance chômage.
144.  Certes, comme le souligne le Gouvernement, le travail des membres du clergé présente la particularité de poursuivre aussi une finalité spirituelle et d’être accompli dans le cadre d’une Eglise pouvant prétendre à un certain degré d’autonomie. Il en résulte que les obligations des membres du clergé sont d’une nature particulière en ce que ceux-ci sont soumis à un devoir de loyauté accru, lui-même fondé sur un engagement personnel de chacun de ses membres qui est censé être définitif. Il peut donc être délicat de distinguer précisément les activités strictement religieuses des membres du clergé de leurs activités de nature plutôt économique.
145.  Cela étant, la question est plutôt de savoir si de telles particularités suffisent à soustraire au champ d’application de l’article 11 la relation qui unit les membres du clergé à leur église. Sur ce point, la Cour rappelle que l’article 11 § 1 envisage la liberté syndicale comme une forme ou un aspect particulier de la liberté d’association et que le paragraphe 2 n’exclut aucune catégorie professionnelle de la portée de l’article 11. Tout au plus les autorités nationales peuvent-elles imposer à certains de leurs employés des « restrictions légitimes » conformes à l’article 11 § 2 (Tüm Haber Sen et Çınar c. Turquie, no 28602/95, §§ 28 et 29, CEDH 2006‑II). D’ailleurs, d’autres catégories professionnelles, par exemple la police ou la fonction publique, se trouvent soumises, elles aussi, à des contraintes particulières et à des obligations spéciales de loyauté, sans pour autant que le droit à la liberté syndicale de leurs membres ne soit remis en cause (voir, par exemple, Syndicat national de la police belge, précité, § 40, et Demir et Baykara, précité, § 107).
146.  De plus, à supposer même que les membres du clergé orthodoxe roumain puissent renoncer aux droits qu’ils tirent de l’article 11 de la Convention, la Cour constate qu’en l’espèce, il n’apparaît pas qu’au moment de leur engagement, les membres du syndicat aient accepté une telle renonciation.
147.  Par ailleurs, la Cour observe que les juridictions internes ont déjà expressément reconnu aux membres du clergé et aux employés laïcs de l’Eglise orthodoxe roumaine le droit de se syndiquer (paragraphes 46 et 49 ci-dessus).
148.  Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour estime que nonobstant les particularités de leur situation, les membres du clergé accomplissent leur mission dans le cadre d’une relation de travail relevant de l’article 11 de la Convention. Cette disposition trouve dès lors à s’appliquer aux faits de la cause.
149.  Comme les parties, la Grande Chambre considère que le refus d’enregistrer le syndicat requérant s’analyse en une ingérence de l’Etat défendeur dans l’exercice des droits garantis par l’article 11 de la Convention.
150.  Pour être compatible avec le paragraphe 2 de l’article 11, pareille ingérence doit être « prévue par la loi », inspirée par un ou plusieurs buts légitimes et « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite de ce ou ces buts.
b)  Sur le point de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi » et si elle poursuivait un ou des buts légitimes
151.  Les parties s’accordent à reconnaître que l’ingérence litigieuse se fondait sur les dispositions du Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine. Cependant, leurs positions divergent sur le point de savoir si elle était « prévue par la loi ».
152.  Le syndicat requérant considère que l’ingérence n’avait pas de base légale en droit interne car les dispositions du Statut de l’Eglise, n’ayant pas valeur de loi organique, ne pouvaient pas déroger aux dispositions de la Constitution garantissant la liberté syndicale. Le Gouvernement conteste cette analyse, estimant que, dès lors que le Statut avait été approuvé par un arrêté du Gouvernement, il faisait partie du droit interne.
153.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’expression « prévue par la loi » impose non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais vise aussi la qualité de la loi en cause, qui doit être accessible au justiciable et prévisible (Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000‑V). Elle rappelle également que l’expression « prévue par la loi » renvoie d’abord au droit interne et qu’il ne lui appartient pas en principe de contrôler la régularité de la « législation déléguée » : pareille tâche incombe au premier chef aux cours et tribunaux nationaux (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, § 37, série A no 233).
154.  En l’espèce, elle constate que ni la Constitution ni les lois organiques sur la liberté syndicale et religieuse, pas plus que le Statut de l’Eglise, n’interdisent expressément la constitution de syndicats par des membres du personnel clérical ou laïc de l’Eglise. Les juridictions internes ont déduit cette interdiction des dispositions du Statut de l’Eglise en vertu desquelles la création d’associations et de fondations ecclésiastiques est l’attribut du Saint Synode et l’autorisation de l’archevêque est requise pour la participation de membres du clergé à quelque forme d’association que ce soit.
155.  La Cour note que la prévisibilité et l’accessibilité des dispositions litigieuses susmentionnées ne sont pas ici en cause. En effet, il n’est pas contesté que les membres du syndicat requérant avaient connaissance de ces dispositions du Statut et qu’en l’absence de l’autorisation de l’archevêque, ils devaient s’attendre à ce que l’Eglise s’oppose à leur demande d’enregistrement de leur syndicat. Ils affirment d’ailleurs avoir demandé cette autorisation, qui leur aurait été refusée sur intervention du Saint Synode.
156.  Quant à l’argument principal du syndicat requérant, qui consiste à dire que bien que le Statut de l’Eglise ait été approuvé par le Gouvernement ses dispositions ne pouvaient pas déroger aux normes constitutionnelles, la Grande Chambre estime qu’il s’apparente à une exception d’irrégularité de la législation interne fondée sur l’inconstitutionnalité des dispositions en cause et sur le non-respect de la hiérarchie des normes. Or il n’appartient pas à la Cour d’examiner le bien-fondé de ce moyen, qui concerne la régularité d’une forme de « législation déléguée ». En effet, l’interprétation du droit interne des Parties contractantes incombe au premier chef aux juridictions nationales (voir, parmi d’autres, Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, § 35, CEDH 1999‑III). A cet égard, force est de constater que le tribunal départemental, statuant en dernière instance, s’est limité à noter de manière générale que la loi no 54/2003 ne permettait pas d’inclure dans les statuts des dispositions contraires à la Constitution ou aux autres lois. Contrairement au tribunal de première instance, il n’a pas examiné in concreto le point de savoir si l’interdiction de fonder un syndicat sans l’autorisation de l’archevêque était compatible ou non avec les normes constitutionnelles. Pour autant, la Cour estime que dès lors qu’il s’est appuyé dans son arrêt sur le Statut de l’Eglise, le tribunal départemental a implicitement considéré que ses dispositions n’étaient pas contraires aux normes constitutionnelles.
157.  Par conséquent, la Cour est disposée à admettre, comme les juridictions nationales, que l’ingérence litigieuse avait pour base légale les dispositions pertinentes du Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine et que ces dispositions répondaient aux critères de « légalité » qu’elle a définis dans sa jurisprudence (voir, mutatis mutandis, Miroļubovs et autres, précité, § 78).
158.  Enfin, comme les parties, la Grande Chambre considère que l’ingérence poursuivait un objectif légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 11, à savoir la protection des droits d’autrui, en l’occurrence ceux de l’Eglise orthodoxe roumaine. Elle n’aperçoit pas de raison d’ajouter à ce but, à l’instar de la chambre, celui de la défense de l’ordre.
c)  Sur le point de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique »
159.  De l’avis de la Cour, il incombe aux juridictions nationales de veiller à ce qu’au sein des organisations religieuses, tant la liberté d’association que l’autonomie des cultes puissent s’exercer dans le respect du droit en vigueur, en ce compris la Convention. En ce qui concerne les ingérences dans l’exercice du droit à la liberté d’association, il découle de l’article 9 de la Convention que les cultes sont en droit d’avoir leur propre opinion sur les activités collectives de leurs membres qui pourraient menacer leur autonomie et que cette opinion doit en principe être respectée par les autorités nationales. Pour autant, il ne suffit pas à une organisation religieuse d’alléguer l’existence d’une atteinte réelle ou potentielle à son autonomie pour rendre conforme aux exigences de l’article 11 de la Convention toute ingérence dans le droit à la liberté syndicale de ses membres. Il lui faut aussi démontrer, à la lumière des circonstances du cas d’espèce, que le risque invoqué est réel et sérieux, que l’ingérence litigieuse dans la liberté d’association ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’écarter et qu’elle ne sert pas non plus un but étranger à l’exercice de l’autonomie de l’organisation religieuse. Il appartient aux juridictions nationales de s’en assurer, en procédant à un examen approfondi des circonstances de l’affaire et à une mise en balance circonstanciée des intérêts divergents en jeu (voir, mutatis mutandis, Schüth c. Allemagne, no 1620/03, § 67, CEDH 2010 et Siebenhaar c. Allemagne, no 18136/02, § 45, 3 février 2011).
160.  Si, dans des cas tels que celui de la présente affaire, qui nécessitent une mise en balance d’intérêts privés concurrents ou de différents droits protégés par la Convention, l’Etat jouit généralement d’un ample marge d’appréciation (voir, mutatis mutandis, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 77, CEDH 2007‑I), l’issue de la requête ne peut en principe varier selon qu’elle a été portée devant la Cour sous l’angle de l’article 11 de la Convention, par la personne dont l’exercice de la liberté d’association a été restreint, ou sous celui des articles 9 et 11, par l’organisation religieuse qui s’estime victime d’une atteinte à son droit à l’autonomie.
161.  En l’espèce, la question qui se trouve au centre du litige est celle de la non-reconnaissance du syndicat requérant. Devant les tribunaux compétents pour examiner la demande d’enregistrement du syndicat, l’archevêché, qui s’opposait à cette reconnaissance, a soutenu que les objectifs prévus dans le statut du syndicat étaient incompatibles avec les obligations assumées par les prêtres au titre de leur sacerdoce et de leur engagement envers l’archevêque. Il estimait que l’apparition dans la structure de l’Eglise d’un tel organisme nouveau aurait porté gravement atteinte à la liberté des cultes de s’organiser selon leurs propres traditions, et que la création du syndicat aurait donc été susceptible de remettre en question la structure hiérarchique traditionnelle de l’Eglise – d’où la nécessité, selon lui, de limiter la liberté syndicale réclamée par le syndicat requérant.
162.  Au vu des différents arguments avancés devant les juridictions nationales par les représentants de l’archevêché de Craiova, la Cour estime que le tribunal départemental pouvait raisonnablement considérer qu’une décision autorisant l’enregistrement du syndicat aurait fait peser un risque réel sur l’autonomie de l’organisation religieuse en cause.
163.  A cet égard, la Cour relève qu’en Roumanie, chaque culte a le droit d’adopter son propre statut et ainsi de décider librement de son fonctionnement, du recrutement de son personnel et des rapports qu’il entretient avec son clergé (paragraphe 29 ci-dessus). Le principe de l’autonomie des organisations religieuses représente la clé de voûte des relations entre l’Etat roumain et les cultes reconnus sur son territoire, dont l’Eglise orthodoxe roumaine. Comme l’indique le Gouvernement, les membres du clergé orthodoxe roumain, y compris donc les prêtres membres du syndicat requérant, exercent leurs activités en vertu de leur sacerdoce, de leur engagement envers l’évêque et de la décision de celui-ci, l’Eglise orthodoxe roumaine ayant choisi de ne pas transposer dans son statut les dispositions du droit du travail pertinentes en la matière, choix entériné par un arrêté du gouvernement au nom du respect du principe de l’autonomie du culte.
164.  Or, à la lecture des objectifs poursuivis par le syndicat requérant dans son statut, objectifs qui consistaient notamment à promouvoir la libre initiative, la concurrence et la liberté d’expression de ses membres, à assurer la participation au Saint Synode d’un membre du syndicat, à demander à l’archevêque de produire un rapport financier annuel et à utiliser la grève comme moyen de défense des intérêts de ses membres, la décision juridictionnelle refusant l’enregistrement dudit syndicat au nom du respect de l’autonomie des cultes n’apparaît pas déraisonnable aux yeux de la Cour, eu égard notamment au rôle de l’Etat dans la préservation de ladite autonomie.
165.  Dans ce contexte, la Cour rappelle qu’elle a eu à maintes reprises l’occasion de souligner le rôle de l’Etat en tant qu’organisateur neutre et impartial de la pratique des religions, cultes et croyances, et d’indiquer que ce rôle contribuait à assurer l’ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique, particulièrement entre des groupes opposés (voir, parmi d’autres, Hassan et Tchaouch, précité, § 78 et Leyla Şahin, précité, § 107). Elle ne peut en l’espèce que confirmer cette jurisprudence. Le respect de l’autonomie des communautés religieuses reconnues par l’Etat implique, en particulier, l’acceptation par celui-ci du droit pour ces communautés de réagir conformément à leurs propres règles et intérêts aux éventuels mouvements de dissidence qui surgiraient en leur sein et qui pourraient présenter un danger pour leur cohésion, pour leur image ou pour leur unité. Il n’appartient donc pas aux autorités nationales de s’ériger en arbitre entre les organisations religieuses et les différentes entités dissidentes qui existent ou qui pourraient se créer dans leur sphère.
166.  A la lumière de l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour partage l’avis du gouvernement défendeur selon lequel, en refusant d’enregistrer le syndicat requérant, l’Etat s’est simplement abstenu de s’impliquer dans l’organisation et le fonctionnement de l’Eglise orthodoxe roumaine, respectant ainsi l’obligation de neutralité que lui impose l’article 9 de la Convention. Il reste à rechercher si l’examen auquel le tribunal départemental s’est livré pour rejeter la demande du requérant répondait aux exigences permettant de vérifier si le refus d’enregistrement était nécessaire dans une société démocratique (paragraphe 159 ci-dessus).
167.  La majorité de la chambre a répondu à cette question par la négative. Elle a estimé que le tribunal départemental n’avait pas suffisamment tenu compte de tous les arguments pertinents, n’avançant pour justifier son refus d’enregistrer le syndicat que des motifs d’ordre religieux tirés des dispositions du Statut de l’Eglise (paragraphes 77 et suiv. de l’arrêt de la chambre).
168.  La Grande Chambre ne souscrit pas à cette conclusion. Elle relève que le tribunal départemental a refusé d’enregistrer le syndicat requérant après avoir constaté que sa demande ne répondait pas aux exigences du Statut de l’Eglise car ses membres n’avaient pas respecté la procédure spéciale prévue pour la création d’une association. Elle estime qu’en procédant ainsi, le tribunal départemental n’a fait qu’appliquer le principe de l’autonomie des organisations religieuses : son refus d’autoriser l’enregistrement du syndicat requérant en raison du non-respect de la condition d’obtention de l’autorisation de l’archevêque était une conséquence directe du droit de la communauté religieuse en cause de s’organiser librement et de fonctionner conformément aux dispositions de son statut.
169.  Par ailleurs, le syndicat requérant n’a avancé aucune raison pour justifier l’absence de demande formelle d’autorisation auprès de l’archevêque. Néanmoins, les juridictions nationales ont pallié à cette omission, en recueillant l’avis de l’archevêché de Craiova et en se livrant à un examen des motifs avancés par lui. Le tribunal départemental a conclu, en faisant siens les motifs avancés par l’archevêché de Craiova, que, s’il autorisait la création du syndicat, les structures de consultation et de délibération prévues par le Statut de l’église se trouveraient remplacées ou contraintes de collaborer avec un nouvel organisme – le syndicat – étranger à la tradition de l’Eglise et aux règles canoniques de consultation et de prise de décision. Le contrôle effectué par le tribunal a ainsi permis de vérifier que le risque invoqué par les autorités ecclésiastiques était probable et sérieux, que les motifs avancés par elles ne servaient pas un but étranger à l’exercice de l’autonomie du culte en question et que le refus d’enregistrer le syndicat requérant n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour écarter ce risque.
170.  De manière plus générale, la Cour relève que le Statut de l’Eglise orthodoxe roumaine ne prévoit pas d’interdiction absolue, pour les membres de son clergé, de constituer des syndicats pour protéger leurs droits et leurs intérêts légitimes. Rien n’empêche donc les membres du syndicat requérant de jouir de leur droit garanti par l’article 11 de la Convention en fondant une telle association dont les objectifs seraient compatibles avec le Statut de l’Eglise et qui ne remettrait pas en question la structure hiérarchique traditionnelle de l’Église et la manière dont les décisions y sont prises. La Cour note qu’il est loisible, par ailleurs, aux membres du syndicat requérant d’adhérer librement à l’une ou l’autre des associations existantes à ce jour au sein de l’Eglise orthodoxe roumaine qui ont été autorisées par les juridictions nationales et qui exercent leurs activités en conformité avec les exigences de son Statut (paragraphe 52 ci‑dessus).
171.  Enfin, la Cour prend note de la grande variété des modèles constitutionnels qui régissent en Europe les relations entre les Etats et les cultes. Compte tenu de l’absence de consensus européen sur la question (paragraphe 61 ci-dessus), elle estime que la marge d’appréciation de l’Etat est plus large dans ce domaine et englobe le droit de reconnaître ou non, au sein des communautés religieuses, des organisations syndicales poursuivant des buts susceptibles d’entraver l’exercice de l’autonomie des cultes.
172.  En conclusion, eu égard aux motifs qu’il a exposés, le refus du tribunal départemental d’enregistrer le syndicat requérant n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités nationales en la matière et, dès lors, il n’est pas disproportionné.
173.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1.  Dit, à l’unanimité, que le Gouvernement est forclos à invoquer l’anonymat de la requête ;
 
2.  Dit, à l’unanimité, que le syndicat requérant est forclos à invoquer la violation de l’article 34 de la Convention à raison de faits qui ont eu lieu avant le prononcé de l’arrêt de la chambre. Quant aux faits postérieurs à cette date, l’Etat défendeur n’a pas méconnu les obligations qui lui incombaient aux termes de cette disposition;
 
3.  Dit, par onze voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.
 
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 9 juillet 2013.
Michael O’Boyle                                                                  Dean Spielmann
  Greffier adjoint                                                                        Président
 
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante du juge Wojtyczek ;
–  opinion en partie dissidente commune aux juges Spielmann, Villiger, López Guerra, Bianku, Møse et Jäderblom.
D.S.
M.O’B.


OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK
1.  Je souscris entièrement à la conclusion de la majorité selon laquelle il n’y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire. En revanche, je ne partage pas la totalité des opinions exprimées dans la motivation de l’arrêt. Mes doutes portent en particulier sur l’applicabilité aux membres du clergé de la liberté syndicale, telle que définie par l’article 11 de la Convention.
2.  Dans la présente affaire, il est nécessaire de rappeler trois principes importants d’interprétation de la Convention.
Premièrement, l’interprétation d’une disposition de ce traité international se fonde sur le principe de son unité. Ainsi, tout article  de la Convention doit être interprété à la lumière de l’ensemble de ses dispositions et des dispositions des protocoles additionnels qui ont été ratifiés par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Sans exclure tous les conflits de droits dans des situations concrètes, une telle approche en réduit cependant le nombre.
Deuxièmement, comme la majorité l’a relevé à juste titre, il y a une grande diversité de régimes régissant les cultes au sein des Hautes Parties contractantes. Cette diversité constitue un argument important pour reconnaître aux Etats une large marge d’appréciation dans ce domaine. De plus, pour déterminer l’ampleur de cette marge, il faut tenir compte de la diversité confessionnelle en Europe. Le pluralisme confessionnel se traduit notamment par la multiplicité des définitions de la mission de ministre du culte dans les différentes religions.
Troisièmement, selon le préambule de la Convention, le maintien des libertés fondamentales repose essentiellement sur un « régime politique véritablement démocratique ». De plus, les restrictions apportées aux différentes libertés protégées par la Convention doivent être « nécessaires dans une société  démocratique ». L’interprétation de la Convention doit donc tenir compte de l’idéal démocratique. Parmi les différentes caractéristiques d’un Etat démocratique, il ne faut pas négliger le principe de la subsidiarité de l’Etat. La société démocratique s’épanouit pleinement dans le cadre d’un Etat subsidiaire qui respecte l’autonomie des différentes communautés qui la composent. Cette autonomie légitime peut se traduire notamment par une autorégulation au moyen de règles de conduite extra‑juridiques, produites ou acceptées par les différents groupes sociaux.
3.  En vertu de l’article 11 § 1 de la Convention, toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. Il ne fait aucun doute que les membres du clergé sont titulaires de la liberté de réunion pacifique et de la liberté d’association en général. La question qui se pose est celle du champ d’application personnel du droit de fonder des syndicats ou de s’y affilier.
La liberté syndicale est une liberté fondamentale, protégée par la Convention. Les syndicats sont des associations formées en vue de la défense des droits et intérêts des travailleurs et des employés avant tout face aux employeurs et ensuite face aux pouvoirs publics. Si l’article 11 de la Convention n’exclut expressément aucune catégorie professionnelle particulière, il est clair que la liberté syndicale consacrée par cette disposition s’applique aux personnes exerçant une activité professionnelle rémunérée, dans le cadre d’une relation de subordination à l’égard d’une autre personne et pour le compte de celle-ci.
4.  L’article 9 § 1 de la Convention stipule que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La liberté de religion a une dimension collective et présuppose notamment l’autonomie des cultes. Cette autonomie inclut en particulier le droit de chaque communauté religieuse de définir librement sa structure interne, la mission des membres de son clergé et leur statut au sein de la communauté. Toute restriction à l’autonomie des cultes doit être justifiée par la nécessité de mettre en œuvre les valeurs protégées par la Convention. L’Eglise orthodoxe roumaine, tout comme les autres cultes, jouit d’une très large autonomie, protégée par la Convention.
5.  La liberté syndicale, protégée par l’article 11 de la Convention, doit être interprétée en tenant compte notamment de l’article 9 de la Convention. La mission des membres du clergé a une dimension spirituelle, définie par la doctrine des différentes religions. Si cette définition varie considérablement selon les religions, il est néanmoins nécessaire d’en tenir compte dans l’analyse du lien juridique qui unit les membres du clergé à leur communauté religieuse. Comme le note la majorité, ce lien résulte d’un engagement personnel des membres du clergé. Il faut ajouter que cet engagement est consenti librement et dépasse par sa nature et sa profondeur tout engagement professionnel contracté dans le cadre d’une relation de droit du travail. De plus, lorsqu’elle demande à la communauté religieuse de lui confier la mission de membre de clergé, la personne concernée s’engage librement à respecter le droit interne édicté par cette communauté. Ainsi, les membres ecclésiastiques du syndicat requérant se sont engagés librement, notamment, à ne pas former de syndicat sans la bénédiction de leur évêque. Certes, comme le note la majorité, l’engagement d’un membre du clergé est censé, en principe, être définitif, cependant chacun reste libre de ses choix et peut en pratique décider unilatéralement d’abandonner ses fonctions, quitte à enfreindre les règles du droit religieux.
6.  La majorité a examiné la spécificité du lien juridique qui unit les membres du clergé à leur Eglise à la lumière des différents critères permettant d’établir l’existence d’une relation de travail. Ce faisant, elle a relevé à juste titre que le travail des membres du clergé présentait un certain nombre de particularités.
Il faut noter que la relation de travail a un caractère synallagmatique et une nature économique particulière : la rémunération versée par l’employeur est la contrepartie des richesses économiques produites par l’employé.
L’analyse du travail des membres du clergé doit tenir compte de la dimension spirituelle de leur mission. La valeur de ce travail échappe à l’appréciation économique. De plus, si l’exercice d’une activité salariée a pour but principal de procurer des revenus, la mission d’un membre du clergé a un caractère différent. Il faut noter à cet égard que si, en Roumanie et dans un certain nombre d’autres pays, l’Etat finance les traitements versés aux ministres du culte, dans d’autres pays européens, les mêmes missions sont réalisées sans aucune rémunération, que ce soit de la part de l’Etat ou de la part de la communauté religieuse. Dans beaucoup de communautés monastiques, les membres font vœu de pauvreté. La relation juridique entre un membre du clergé et sa communauté religieuse n’est pas de nature synallagmatique.
Dans ce contexte, il est difficile d’assimiler la mission d’un membre du clergé, qui est très spécifique, à une activité professionnelle exercée pour le compte et pour le bénéfice d’une autre personne physique ou morale. Le fait que, dans certains Etats, des communautés religieuses, pour différentes raisons, appliquent certaines dispositions du droit du travail à leurs relations avec les membres de leur clergé n’estompe pas cette différence fondamentale.
Par ailleurs, il faut ajouter que les systèmes de sécurité sociale peuvent s’étendre à différentes catégories de personnes qui n’exercent pas d’activité salariée. Le fait qu’une personne relève d’un système de sécurité sociale ne constitue pas un argument permettant de conclure qu’elle est engagée dans une relation juridique soumise au droit du travail.
7.  Etant donné la spécificité de la mission des membres du clergé, il est difficile de conclure que l’article 11 de la Convention, dans sa partie relative à la liberté syndicale, trouve à s’appliquer en l’espèce. L’application des dispositions du droit du travail aux relations entre la communauté religieuse et les membres de son clergé faite dans certains Etats ne résulte pas d’une obligation imposée par la Convention.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SPIELMANN, VILLIGER, LÓPEZ GUERRA, BIANKU, MøSE ET JÄDERBLOM
(Traduction)
1. Nous ne sommes pas en désaccord avec la Grande Chambre lorsqu’elle reconnaît que les membres du clergé orthodoxe roumain s’acquittent de leur mission dans le cadre d’une relation de travail avec l’Eglise et que, en conséquence, 1) les garanties de l’article 11 concernant le droit de former des syndicats pour la défense des intérêts des employés et de s’y affilier trouvent à s’appliquer en l’espèce, et 2) le refus des juridictions roumaines d’enregistrer le syndicat requérant constitue donc une atteinte à l’exercice de ce droit (paragraphes 149 et 150 de l’arrêt).
2. Cependant, dans son arrêt, la Grande Chambre ne parvient pas à la conclusion qui s’impose dans les circonstances de l’espèce au vu de ces deux constats, à savoir que le refus des juridictions roumaines d’enregistrer le syndicat requérant a emporté violation de son droit à la liberté d’association garanti par l’article 11 de la Convention.
3. La liberté de s’affilier à un syndicat, élément essentiel du dialogue social entre travailleurs et employeurs, est reconnue dans la Convention en tant qu’aspect particulier de la liberté d’association qui doit être protégée contre l’ingérence arbitraire des autorités publiques. En vertu de la jurisprudence de la Cour, les exceptions prévues à l’article 11 § 2 sont d’interprétation stricte. Seules des raisons convaincantes et impératives peuvent justifier l’apport de restrictions à la liberté d’association (Demir et Baykara c. Turquie, no 34503/97, §§ 96 et suivants, CEDH 2008). Cette liberté comprend assurément le droit de former des syndicats. A cet égard, il y a lieu de noter que l’article 7 de la Convention no 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical prévoit que l’acquisition de la personnalité juridique par les organisations de travailleurs ne peut être subordonnée à des conditions de nature à porter atteinte à ce droit.
4. En l’espèce, le tribunal départemental de Dolj a rejeté la demande d’enregistrement du syndicat requérant en des termes très généraux et succincts. Ce faisant, il a infirmé un jugement par lequel le tribunal de première instance de Craiova avait accueilli la demande d’inscription au registre des syndicats introduite par l’intéressé et soutenue par le ministère public (paragraphes 12 et 15 de l’arrêt). Il a ainsi souscrit à la position de l’appelant, l’archevêché de Craiova, en se fondant sur le fait que l’archevêque n’avait pas autorisé la formation du syndicat et sur la liberté des cultes de s’organiser (paragraphe 18 de l’arrêt).
5. Dans ses observations devant la Grande Chambre, le Gouvernement soutenait que la décision du tribunal départemental avait une base légale, qu’elle poursuivait un but légitime (celui de préserver l’autonomie des communautés religieuses) et qu’elle était proportionnée à ce but et nécessaire dans une société démocratique. Nous pouvons admettre, comme l’a fait la majorité de la Grande Chambre, que la décision du tribunal départemental reposait sur une base légale et poursuivait un but légitime. Cependant, nous ne sommes pas d’accord pour dire qu’elle était proportionnée à ce but ni qu’elle était nécessaire pour préserver l’autonomie de l’Eglise orthodoxe roumaine. Dans les circonstances de l’espèce, en embrassant sans réserve la position de l’archevêché, le tribunal départemental n’a pas tenu compte des intérêts en présence et n’a pas procédé à leur mise en balance afin d’apprécier la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits du syndicat requérant. Nous considérons que pareil exercice l’aurait conduit à conclure que la reconnaissance du syndicat requérant n’aurait mis en péril ni l’autonomie de l’Eglise orthodoxe roumaine ni le droit de celle-ci de ne pas subir d’ingérences externes ou internes, que ce soit quant à sa doctrine (principes et convictions) ou quant à son fonctionnement.
6. En ce qui concerne l’autonomie de l’Eglise dans l’établissement de sa doctrine, le statut du syndicat requérant indiquait expressément que celui-ci voulait respecter et appliquer intégralement les règles ecclésiastiques, y compris le Statut et les canons de l’Eglise. Par ailleurs, ni le statut du syndicat ni les déclarations de ses membres ne contenaient de propos critiques à l’égard de la doctrine ou de l’Eglise orthodoxes. Le syndicat plaçait ses revendications exclusivement sur le terrain de la défense des droits et des intérêts professionnels, économiques, sociaux et culturels de ses adhérents.
7. En ce qui concerne l’autonomie de l’Eglise quant à son fonctionnement interne, le Gouvernement et les tiers intervenants considèrent que les activités du syndicat nuiraient à l’autonomie institutionnelle de l’Eglise orthodoxe roumaine en créant une autorité parallèle au sein de sa structure. Or le programme du syndicat indiquait clairement que celui-ci aurait eu pour seul but de défendre les intérêts de ses membres en proposant l’adoption de mesures en ce sens, et non en revendiquant un quelconque pouvoir de décision au sein de l’Eglise. Le programme prévoyait la représentation du syndicat au sein de certains organes de l’Eglise, et les objectifs déclarés du syndicat n’étaient pas de substituer sa propre structure à celles de l’Eglise mais de présenter et de défendre des propositions devant ces structures au nom de ses adhérents, et en aucun cas d’assumer les fonctions de l’Eglise.
8. Le Gouvernement soutenait aussi que les activités du syndicat auraient risqué de perturber le fonctionnement de l’Eglise, par exemple en cas de grève. Mais il s’agit là d’une question différente de celle de l’enregistrement par les autorités roumaines du syndicat, dont elle concerne une conduite potentielle future. Cet argument, que l’on ne retrouve pas dans l’appréciation des juridictions nationales qui ont examiné la demande d’enregistrement du requérant, est hautement spéculatif. Une mesure aussi radicale que le refus d’autoriser la création d’un syndicat sur la seule base d’une partie de son programme ne se justifie qu’en présence de menaces graves ou si le programme contient des objectifs incompatibles avec les principes démocratiques ou manifestement illégaux (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, §§ 107 et suiv., CEDH 2003‑II et Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 103, CEDH 2004‑I). Au surplus, même dans l’hypothèse où le syndicat aurait été enregistré, ses adhérents seraient restés intégrés dans la structure administrative de l’Eglise et soumis à sa réglementation interne, qui leur imposait des obligations spécifiques en tant que membres du clergé. L’Eglise et les autorités nationales ne se seraient pas non plus trouvées désarmées face à d’éventuels écarts de conduite des adhérents du syndicat par rapport à ces obligations spécifiques : elles auraient pu appliquer des mesures compatibles avec le paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention. En particulier, pour répondre à la crainte exprimée par le Gouvernement roumain relativement à l’exercice potentiel par le syndicat requérant d’un droit de grève – quoiqu’il s’agisse là certainement de l’un des droits syndicaux les plus importants – la Grande Chambre aurait dû tenir compte dans son arrêt de deux aspects de la jurisprudence de la Cour : 1) le droit de grève n’est pas un droit absolu (Schmidt et Dahlström c. Suède, 6 février 1976, § 36, série A no 21 et Dilek et autres c. Turquie, nos 74611/01, 26876/02 et 27628/02, § 68, 17 juillet 2007), et 2) la limitation du droit de grève peut, dans certains cas, être admissible dans une société démocratique (UNISON c. Royaume-Uni (déc.) no 53574/99, CEDH 2002-I, Fédération des syndicats de travailleurs offshore et autres c. Norvège (déc.), no 38190/97, CEDH 2002-VI, et Enerji Yapı-Yol Sen c. Turquie, no 68959/01, § 32, 21 avril 2009).
9. Il y a encore d’autres raisons pour écarter l’argument selon lequel l’enregistrement du syndicat requérant aurait pu de quelque manière que ce soit compromettre les activités de l’Eglise ou menacer son autonomie. D’abord et avant tout, les juridictions internes avaient déjà reconnu le droit des employés de l’Eglise orthodoxe, clercs et laïcs, de se syndiquer, en octroyant la personnalité morale aux deux syndicats du clergé Solidaritatea et Sfântul Mare Mucenic Gheorghe (paragraphes 46 et 49 de l’arrêt) ; et rien, ni dans les observations du Gouvernement ni dans les informations dont la Cour dispose, n’indique que l’existence de ces deux syndicats ait de quelque manière que ce soit porté atteinte au fonctionnement autonome de l’Eglise orthodoxe roumaine.
10. Ensuite, d’un point de vue plus général, le refus d’enregistrer le syndicat requérant était d’autant moins nécessaire et proportionné que même si les modèles constitutionnels qui régissent les relations entre les différents Etats européens et les cultes sont très divers, aucun d’entre eux n’exclut les membres du clergé du droit de former des syndicats. Dans certains pays, ce droit leur est même expressément garanti (paragraphe 61 de l’arrêt).
11. Eu égard à ce qui précède, la Grande Chambre aurait dû conclure que la décision par laquelle le tribunal départemental de Dolj a rejeté la demande d’enregistrement du syndicat requérant en raison de l’absence d’autorisation de l’archevêque a bel et bien emporté violation du droit à la liberté d’association garanti par l’article 11 de la Convention.

[1] Bosnie-Herzégovine, Estonie, Géorgie, Hongrie, Moldova, Monténégro, Irlande, ex-République yougoslave de Macédoine, Lettonie, Lituanie, Allemagne, Grèce, Espagne, Portugal, Italie, Pologne, Slovénie, France et certains cantons suisses.
[2] Finlande, Bulgarie, Slovaquie, Ukraine, Belgique, Autriche, Russie, Turquie, Luxembourg, Suède et certains cantons suisses.
[3] Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni.

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